Le Code d'Esther
exister…
— Soit ?
— Soit… Je ne sais pas… Je ne me l’explique pas.
— Ce serait à mettre sur le compte de ce que l’on pourrait appeler… le mystère du Livre d’Esther ?
— Si vous voulez, consent-il avec un sourire. Mais alors, il n’est pas le seul… »
Cet homme est un véritable puits de science. Il connaît tout sur tout. Et ce sont précisément ses connaissances, alliées à un sens certain de la pédagogie, qui le rendent si passionnant ! Comme tous ces chercheurs captivés par leur métier, il a tendance à s’écarter du sujet, à prendre des chemins de traverse, pour nous faire comprendre son propos en totalité. Mais, comme il est remarquablement intelligent, il accepte volontiers les « recadrages » que je lui impose parfois.
« Parce qu’il y a… d’autres mystères ?
— D’abord, le fait que, à la différence de tous les autres textes, Dieu n’apparaît pas dans le Livre d’Esther. Mais il n’y a pas que cela : dans l’état actuel des fouilles et des recherches, aucune mention de cet épisode n’existe en Babylonie. Historiquement parlant, on ne peut relier ce texte à rien de ce que nous savons. Cela veut dire que nous sommes peut-être en présence d’un texte qui a été composé , comme un roman, par une ou plusieurs personnes, et qui a un seul objectif…
— Lequel ?
— Glorifier le nom de Dieu ! Ce serait alors un texte apologétique, c’est-à-dire chargé d’une “mission de défense et d’illustration” de la religion.
— Oui, mais là, je ne comprends plus ! Comment glorifier le nom de Dieu si, au contraire de tous les autres livres de la liturgie juive, même Son nom n’est jamais prononcé dans le Livre d’Esther ?
— C’est une très bonne question ! me répond en souriant mon interlocuteur. Je reconnais bien là le journaliste ! »
Voici son explication : jusqu’à la destruction du premier Temple par le roi de Babylonie, Nabuchodonosor, qui provoqua l’exil du peuple juif, il existait à l’intérieur de l’édifice sacré une salle, le Saint des Saints, dans la troisième partie du Temple. Là se trouvait, impalpable, invisible et immatérielle, la chehina , littéralement la « présence divine ». « Et ils me feront un sanctuaire dans lequel je résiderai » (Exode 25,8). Une fois par an, le Grand Prêtre avait le droit de pénétrer dans cette salle : le jour de Yom Kippour, ou jour du Grand Pardon, que Dieu a prescrit à Moïse en même temps que les lois divines lors de l’épisode du mont Sinaï. La destruction du premier Temple, en 586 avant notre ère, signifia aussi la destruction de la chehina . Voilà pourquoi tous les commentateurs de la Torah estiment que Dieu est bien présent dans le Livre d’Esther mais qu’Il est « caché », qu’Il ne se montre pas comme dans d’autres textes bibliques, qu’Il préfère rester dans l’ombre et se manifester par l’intermédiaire d’autres personnes.
« Ainsi, continue Avraham Malthète, lorsque Esther s’adresse à Assuérus en l’appelant par son nom, c’est bien au roi de Mésopotamie qu’elle parle, mais lorsqu’elle utilise la formule “Ô roi des rois”, c’est Dieu qui lui répond.
— Et a-t-on la certitude que le texte que nous avons entre les mains aujourd’hui correspond bien au texte original ?
— Absolument ! Pour une raison précise et qui n’est valable que pour ce livre : il existe un “traité de Meguila ”, c’est-à-dire un recueil de règles pour la célébration de la fête de Pourim, pour la mise en forme du texte et la manière de le lire. C’est un ensemble de codes qui exclut toute possibilité d’erreur dans la retranscription du livre.
— C’est exceptionnel pour un livre de la liturgie juive ?
— Ce n’est pas exceptionnel, c’est unique ! »
L’entretien touche à sa fin. La démonstration a été brillante, mais elle n’a fait que renforcer mes interrogations sur les dernières paroles de Streicher. De toute évidence, il n’a pas choisi n’importe quel texte du judaïsme. En savait-il autant qu’Avraham Malthète ? J’ai peine à le croire, même si nous ne devons pas sous-estimer sa connaissance de la religion juive. Déjà l’épigraphiste se lève, et nous nous apprêtons à le quitter à regret lorsqu’il nous lâche :
« Au fait, vous n’avez pas évoqué la question des petites et des grandes lettres…
— De quoi
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