Le Code d'Esther
bonhomie et l’intelligence. Son visage est mangé par une très courte barbe blanche qui ne cache pas un sourire permanent et des yeux pétillants. Il a une soixantaine d’années, les cheveux gris et donne l’impression d’être toujours en mouvement. Il est venu nous accueillir dans le hall, sa kippa sur la tête et les fils de son talit dépassant de sa chemise. À grandes enjambées, il nous conduit vers son bureau, téléphone à l’oreille, nous invitant du geste à le suivre. Et là, c’est un véritable capharnaüm ! Les livres et les dossiers s’accumulent sur les étagères et dégringolent jusqu’au sol, une bouilloire électrique dispute quelques centimètres carrés à des tasses de café, des images et des cartes anciennes s’entassent sur son bureau : pas le moindre passage en vue dans une pièce pourtant assez vaste, éclairée par deux grandes fenêtres. Il se fraie un chemin (sans rien faire tomber, avec une agilité qui dénote une habitude certaine, tant sa démarche est assurée, dénuée de la moindre hésitation) jusqu’à sa table de travail et débarrasse rapidement les chaises d’une représentation de la Mésopotamie ou de la photocopie d’un fragment de pierre ancienne, pour nous permettre de prendre place.
Avraham Malthète est épigraphiste et paléographe à l’Alliance israélite universelle, où il a la charge, depuis une douzaine d’années, des manuscrits hébreux.
« Disons plus simplement que je suis spécialiste des inscriptions sur la pierre et des écritures anciennes ! » déclare-t-il d’emblée, comme pour s’excuser de la lourdeur de ses titres.
Il consent malgré tout à nous révéler le nombre de langues qu’il pratique et s’amuse de nos visages ébahis à mesure qu’il égrène sa liste : hébreu, yiddish, latin, grec, araméen (« Tous les dialectes », précise-t-il), allemand, russe, arabe classique, italien, espagnol et portugais… « Ah, et puis, j’allais oublier : le créole guadeloupéen, le bas breton, et je me débrouille pas mal en hongrois… » Je comprends mieux à présent l’impression qui saisit le visiteur qui pénètre dans son bureau, celle d’entrer dans la tour de Babel !
« Impressionnant ! Et comment expliquez-vous cette aptitude aux langues ?
— Oh, je crois simplement que je suis doué pour ça, répond-il avec un sourire faussement modeste. Je n’y suis pour rien ! »
Les gènes sont-ils à l’origine de ce don étonnant ? Ou alors, l’éducation ? Le grand-père d’Avraham n’est autre que Georges Méliès, génial pionnier du cinématographe et père des effets spéciaux, avec qui notre hôte revendique un ou deux points communs : « Comme lui, dit-il, je suis touche-à-tout et perfectionniste. »
Stupéfiés par tant de connaissances, nous parvenons quand même à lui exposer la raison pour laquelle nous sommes là : le Livre, appelé aussi Meguila , d’Esther.
« D’abord on peut le dater par la langue, commence-t-il. Comme vous le savez, il y a trois grands stades de développement de l’hébreu : il est biblique, comme par exemple, pour la rédaction de la Torah ; quelques siècles plus tard, il sera mishnique, et enfin moderne. La langue utilisée dans le Livre d’Esther est plus proche de l’hébreu mishnique que biblique. Cela veut dire que le texte ne peut être antérieur au ii e ou iii e siècle avant notre ère. L’histoire se déroule à Suse, une ville qui a réellement existé, située entre le Tigre et l’Euphrate, proche de la ville d’Abadan, au sud-ouest de l’Iran actuel, non loin de la frontière avec l’Irak.
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Rendez-vous sur lecodedesther.com pour y accéder.
» Voilà ce que l’on peut dire avec certitude sur ce texte. Le reste pose pas mal de problèmes…
— Lesquels ?
— D’abord, le fait qu’on ne le trouve pas à Qumran. Vous savez qu’en 1947 un jeune bédouin découvre, dans des grottes où s’étaient échappées ses chèvres, ce que l’on a appelé les “manuscrits de la mer Morte”, des textes fabuleux rédigés entre le iii e siècle avant notre ère et le i er siècle de celle-ci. Tous les livres de la Torah sont là… excepté celui d’Esther. Ce qui laisse supposer que, soit la Meguila n’existait pas à cette époque – et pourtant, étant donné ce que je vous ai dit, elle devrait
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