Le Code d'Esther

décidé d’offrir un grand banquet demain, lui répondit Esther. Et si jusqu’à présent, j’ai trouvé grâce à tes yeux, alors accepte d’y participer et invite ton Premier ministre à se joindre à nous.
    » – J’accepte, répondit Assuérus. Mais à une condition : je veux que tu formules un vœu que j’exaucerai sur le champ. Car je veux te voir belle et heureuse !
    » – Je le ferai, ô mon roi, demain, lors du banquet que je donnerai en ton honneur…” »
    À ce stade du récit, ma mère se permettait une gorgée de vin, les yeux brillants d’excitation.
    « C’est une femme, oui, une femme qui va sauver le peuple juif ! Dans tous les textes sacrés, la femme est décrite comme un être soumis, attendant l’homme à la maison, s’occupant du repas et des tâches subalternes. Esther est la première, et la seule, qui relève la tête, sans un pleur ni une lamentation, osant affronter les hommes sur leur terrain !
    — Tu ne vas pas à présent nous dérouler ton couplet féministe ! lui lançait mon père, goguenard. Tu veux peut-être rejoindre les rangs du MLF ?
    — Parce que vous ne supportez pas, vous les hommes, qu’une femme vous dépasse ? De ne pas être, pour une fois, les héros de l’histoire ? Ah, ça vous embête, n’est-ce pas ? »
    Ma mère triomphait, sous les applaudissements de la tablée, ceux de mes belles-sœurs en particulier, qui reconnaissaient en elle une belle-mère redoutable mais surtout une femme de convictions. Puis le brouhaha cessait, et ma mère entamait d’une voix un peu plus éclatante la dernière partie du rouleau d’Esther :
    « Cette nuit-là, le roi avait du mal à trouver le sommeil. Pour tromper son insomnie, il demanda à consulter le registre des Chroniques du royaume. Il tomba sur le récit du complot déjoué par Mardochée. Il décida de le récompenser. Mais comment ? Le soleil se levait déjà sur Suse, et Aman, bien matinal, arrivait au palais royal.
    » “Que faire pour un homme que le roi veut honorer ?” demanda Assuérus à son Premier ministre.
    » Aman, pensant qu’il s’agissait de lui, répondit : “Qu’on lui passe un habit royal, qu’on le fasse monter sur un cheval royal et qu’on le conduise à travers la ville en proclamant : ‘Voilà ce qu’on fait à un homme que le roi désire honorer !’”
    » “Que l’on exécute immédiatement ta proposition ! L’homme à honorer, c’est Mardochée, ce Juif qui est assis aux marches du palais. Et tu vas prendre la bride du cheval et le promener dans les rues de Suse.”
    » La mort dans l’âme, Aman s’exécuta.
    » Quelques heures plus tard, le palais royal résonnait des préparatifs du banquet offert par Esther. Alors que les serviteurs achevaient de dresser sur les tables les mets favoris du roi, celui-ci arriva, accompagné de son Premier ministre.
    » “Me voici, dit Assuérus, ainsi que je te l’avais promis, avec à mes côtés Aman. À présent, c’est à toi d’exprimer ta requête… Elle te sera accordée. Tu peux me demander jusqu’à la moitié du royaume, je te l’offrirai !
    » – Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, lui répondit la nièce de Mardochée, alors qu’on m’accorde ma propre vie et celle de mon peuple. Car nous avons été vendus moi et mon peuple : on veut nous détruire, nous tuer, nous faire disparaître.
    » – Qui est-il et où est-il, celui dont le cœur est empli de tels desseins ? hurla le roi.
    » – L’adversaire, l’ennemi est ici. Parmi nous. C’est Aman.”
    » À ces mots, le roi explosa de fureur pendant que son Premier ministre devenait livide. Assuérus comprit que pour quelques talents d’argent il allait perdre sa bien-aimée, ainsi que tout son peuple. Il criait si fort que tout le palais suspendit toute activité, s’interrogeant sur la colère du roi. Quand il se fut calmé, il ordonna que l’on couvrît le visage d’Aman, maudite soit son âme ! Il ordonna qu’on le pende, lui et sa descendance, avec la corde qu’il destinait au peuple juif. »
    « Et là, précisait ma mère, une légère contrariété dans la voix, une chose bizarre se produit dans le récit. Écoutez… »
    « Le lendemain de ces événements, Esther se présenta devant le roi. Celui-ci lui demanda de faire un vœu, qu’il se ferait un plaisir d’exaucer. Elle lui répondit : “Que l’on pende les dix fils d’Aman !”
    » Le problème, c’est