Le Code d'Esther
d’Aman et les condamnés de Nuremberg. J’imagine que cela va vous paraître bizarre, mais je ne me souviens pas de qui m’a appelé ni de quel journal il s’agissait. Mais c’est cet appel qui m’a mis sur la voie.
» J’ai donc décidé de prendre à bras-le-corps le mystère que des générations d’érudits avaient tenté de percer : les fameuses trois petites lettres et la grande lettre qui apparaissent dans la transcription des noms des dix enfants d’Aman. »
Le Rav Bloch, qui nous a promis de ne laisser aucun point dans l’ombre, réclame à nouveau la parole en levant la main.
« Vous savez que petites et grandes lettres ne sont pas rares dans la Torah. Tous les textes en sont truffés. En général, elles renvoient à un commentaire ou à une prescription. Elles peuvent également, parfois, indiquer un rite liturgique : lire ce qui suit en silence, reculer de trois pas, s’incliner… On en connaît parfaitement la signification, on sait ce qu’elles impliquent. C’est vrai pour tous les textes… sauf pour le Livre d’Esther !
— Vous voulez dire qu’en dehors du Livre d’Esther il n’existe pas, dans la totalité des textes de la Torah, une seule petite lettre ou grande lettre qui n’ait une explication connue, partagée et confirmée par l’ensemble des érudits ?
— Exactement, me répond le Rav Bloch. Il n’y a que les petites et grandes lettres contenues dans le Livre d’Esther qui posaient problème… jusqu’à la découverte du Professeur.
— Alors, Professeur, dis-je en me retournant vers lui, comment avez-vous procédé ? »
La réponse fuse, immédiate :
« Comme mes illustres aînés l’ont toujours fait : j’ai essayé de voir quelle était la valeur numérique de ces lettres.
— Effectivement, le Rav Chaya nous a dit quelques mots de la valeur numérique des lettres, mais je ne suis pas sûr de savoir comment elle est calculée.
— Je crains de devoir intervenir à nouveau… »
Le Rav Bloch a compris qu’une explication était nécessaire. Plutôt que de laisser s’enliser le débat, il va jouer une nouvelle fois le référent. Le Professeur, ravi, en profite pour goûter le strudel de son épouse.
« En fait, explique le Rav Bloch, dans plusieurs langues anciennes, dont l’hébreu, les lettres ont toujours été utilisées pour noter les nombres. On appelle cela la Guematria , que l’on pourrait traduire par “géométrie”. C’est ainsi que, dans la numérotation hébraïque, les neuf premières lettres de l’alphabet ont une valeur qui va de 1 à 9 ; les neuf suivantes, une valeur qui va de 10 à 90 ; et enfin, les quatre lettres finales de 100 à 400. Par exemple, la première lettre de l’alphabet est le aleph , qui vaut 1… La deuxième lettre, le beth , vaut 2, et ainsi de suite… En prévision, ajoute-t-il en extirpant un document de sa poche intérieure, j’ai préparé un tableau récapitulatif pour bien fixer les idées. Le voici. »
Nom
Valeur
numérique
Graphie
aleph
1
א
beth
2
ב
gimel
3
ג
dalet
4
ד
he
5
ה
vav
6
ו
zayin
7
ז
het
8
ח
tet
9
ט
yod
10
י
kaf
20
כ
lamed
30
ל
mem
40
מ
nun
50
נ
samech
60
ס
ayin
70
ע
pe
80
פ
tsadi
90
צ
qof
100
ק
resh
200
ר
shin
300
ש
tav
400
ת
« C’est assez clair ?
— Très clair ! » répondons-nous en chœur, Yohan et moi.
Décidément, ce diable d’homme avait tout prévu.
« À partir de là et en associant toutes les lettres d’un mot, on arrive à calculer le “poids” numérique de ce mot. Par exemple, si vous prenez shana , “année” en hébreu… Vous additionnez les lettres shin + nun + he et vous obtenez 300 + 50 + 5 = 355… C’est le nombre de jours de l’année lunaire sur laquelle est basé notre calendrier… Cela vous ouvre des perspectives, n’est-ce pas ? » ajoute-t-il en éclatant de rire devant nos mines éberluées.
« Encore un exemple ? Vous allez aimer… “Père” en hébreu se dit ab . Vous additionnez aleph + beth , c’est-à-dire 1 + 2, et vous obtenez… 3. Maintenant, prenez “mère”, em en hébreu… Aleph + mem = 1 + 40 = 41… Tout va bien ? Amusez-vous à présent à additionner “père” et “mère”, et vous arrivez à 3 + 41 = 44. En hébreu, “enfant” se dit yeled , autrement dit : yod + lamed + dalet = 10 + 30 +4 = 44… Bref, ajoutez le père à la mère et vous obtenez… un enfant ! Drôle, n’est-ce pas ?
» Je vous raconte tout ça pour vous faire
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