Le Code d'Esther

qui me permettrait d’utiliser ce fameux vav à bon escient. Et j’ai trouvé… Je ne me souviens plus combien de jours il m’a fallu, mais j’ai trouvé.
    — Et vous avez trouvé quoi ? lui lance Yohan, décidé, comme moi, à abréger notre torture.
    — Que le Zohar considère la lettre vav comme le symbole du sixième millénaire. C’est-à-dire que cette lettre englobe les années de 5000 à 6000… À partir de là, rien de plus facile que de faire une simple addition… Vous vous souvenez du nombre auquel nous étions arrivés avec les trois petites lettres : 707. Si vous ajoutez 5 000 à ce résultat… vous obtenez 5 707… Le code était percé !
    — Pardon, dis-je, mais je ne vous suis pas très bien.
    — C’est que… je suis allé trop vite ! 5707 est une date, une année du calendrier juif qui correspond, selon le calendrier grégorien en usage dans la majeure partie du monde, à 1946, l’année de l’exécution des condamnés de Nuremberg. »
    Rav Bloch, qui doit connaître par cœur cette histoire, se retient de féliciter le champion. Le Professeur ne cache pas sa joie à l’énoncé de la chute en reprenant du strudel. Quant à Yohan, il m’interroge du regard, n’osant pas encore se prononcer. De mon côté, je suis partagé entre déception et colère. Quoi ? Tout ça pour ça ? Je me décide à faire part de mon scepticisme :
    « Excusez-moi, mais je ne vous suis pas… 5707 et 1946… Je reconnais que la correspondance entre les deux dates est troublante, mais ce n’est, après tout, qu’une interprétation, une extrapolation de chiffres ou de lettres. Et puis, en quoi cette date nous permet-elle d’affirmer qu’il existe un lien entre le Livre d’Esther et la Shoah ? Pardon, mais… je ne vois pas !
    — Vous avez parfaitement raison ! concède Mordechay Neugroschel. Une date en soi ne signifie rien. Elle n’est que le point de départ de ma recherche. Mais à partir du moment où je l’avais identifiée, tout a été plus facile – un jeu d’enfant. Il a alors suffi de tirer le fil, et toute l’histoire s’est dévidée devant moi. Laissez-moi vous raconter… »
    De façon assez paradoxale, j’ai l’impression que mon intervention fait plaisir au Professeur. Pour la première fois de la soirée, il se frotte les mains en souriant et s’autorise un grand verre de jus de fruits.
    « Vous connaissez bien sûr la date de l’exécution des condamnés de Nuremberg…
    — 16 octobre 1946 ! »
    La réponse a fusé à ma droite. C’est Yohan qui s’engage dans la bataille.
    « Peut-être pourrions-nous nous demander à quelle date du calendrier hébraïque correspond ce 16 octobre 1946… Vous permettez ? »
    Notre interlocuteur se lève et prend place devant l’ordinateur qui se trouvait sur un secrétaire, face à la baie vitrée.
    « Moi, je connais la réponse, dit Mordechay Neugroschel en nous invitant à s’approcher de lui. Mais je préfère que vous le constatiez par vous-mêmes… J’ai là un logiciel qui nous permet de transformer par un simple clic le calendrier grégorien en calendrier hébraïque ou l’inverse, bien évidemment… Je rentre donc la date du 16 octobre 1946 et j’obtiens… lisez vous-même : 21 Tichrit 5707… Voilà ! Cette date vous évoque-t-elle quelque chose ? »
    C’est en regagnant nos places autour de la table que Yohan se manifeste :
    « Ce ne serait pas… Hoshanna Rabba ? »
    Le visage du Rav Bloch s’illumine : l’étudiant rencontré il y a quelques années a manifestement fait des progrès. Il est temps pour lui de reprendre sa panoplie de « clarificateur » et de nous livrer, avec un vrai talent de pédagogue, ses explications.
    Hoshanna Rabba survient le septième et dernier jour de la fête de Souccot 5 . Il fait partie de ce que l’on appelle les « jours redoutables », au cours desquels le Jugement, rendu à Roch Hachana (la nouvelle année) et consigné à Yom Kippour (le jour du Grand Pardon), entre en vigueur. Il s’agit d’un acte divin qui concerne l’ensemble de l’humanité mais qui touche en particulier les non-Juifs, et, parmi eux, ceux qui ont voulu porter atteinte à l’intégrité du peuple juif. « Le jugement des nations est prononcé, dit le Zohar, les sentences sont délivrées par le Trône céleste et les jugements exécutés le jour même. » La coutume commande alors de faire le tour de la pièce et de frapper le sol à