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Le Code d'Esther

Le Code d'Esther

Titel: Le Code d'Esther Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Benyamin , Yohan Perez
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tue.
    » C’est ce que j’appelle la “trilogie de la mort”. Elle est implacable. Et plus on connaît l’objet de sa paranoïa, plus on est fasciné par lui, plus on le craint. Une course contre la mort s’engage alors : il faut que je m’en débarrasse avant qu’il ne le fasse !
    » C’est ce qui explique cette soif de connaissances qu’ont manifestée certains nazis à l’égard du peuple juif. Comment ces gens peuvent-ils encore exister alors que cela fait deux mille ou trois mille ans qu’ils sont rejetés, pourchassés, assassinés ? Par quels mystères ce peuple est-il encore debout ? Qu’a-t-il de plus que les autres ? La réponse du paranoïaque est simple : ces gens possèdent des pouvoirs occultes, ils sont maléfiques, il faut les faire disparaître de la surface de la Terre ! »
    Régine me raconte alors qu’elle a pu vérifier cette logique délirante lors de ses travaux sur le génocide tutsi au Rwanda. Les rumeurs les plus folles couraient sur eux, relayées par les radios hutus, qui poussaient au massacre. Et, de la même manière que dans l’Allemagne des années 1940, cette trilogie de la mort s’est mise en place, produit d’une paranoïa collective. Huit cent mille Tutsis ont ainsi été découpés à la machette en moins de trois mois, d’avril à juillet 1994. Ce qui, reporté à ce petit pays d’Afrique et à la durée du génocide, est proprement terrifiant. Pas question de comparer les deux génocides, justifie-t-elle, l’ampleur et les moyens mis en œuvre n’ont rien à voir, mais il est saisissant de constater que les mécanismes psychologiques aboutissant à la tentative d’anéantissement d’un peuple sont rigoureusement les mêmes.
    « Revenons à la Shoah… lui dis-je. Il y a quand même un certain nombre de spécificités qui en font un cas à part dans l’histoire de l’humanité…
    — D’abord il faut noter que les Juifs n’en sont pas à leur première Solution finale. Après tout, si l’on en croit le Livre d’Esther, il me semble qu’Aman, le Premier ministre d’Assuérus, avait précédé Hitler de quelques siècles. »
    La référence à Esther me fait sourire : mon amie y est arrivée toute seule, sans connaître l’objet de mes recherches.
    « Il existe d’autres spécificités, bien sûr. Je pense par exemple à l’expérience de l’indicible, de l’“innommable”, ainsi que l’ont appelé les survivants des camps de concentration. Attends… »
    Elle se dresse d’un bond et se dirige vers sa bibliothèque. Elle n’hésite pas en choisissant un livre parmi les centaines qui s’y trouvent. J’ai le temps d’en lire le titre avant qu’elle ne regagne son fauteuil : Si c’est un homme , de Primo Levi.
    « Écoute : “Peut-être que ce qui s’est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c’est presque justifier.” Et un peu plus loin : “Car si la guerre peut avoir un rapport avec ce genre de lutte, Auschwitz n’a rien à voir avec la guerre, elle n’en est pas une étape, elle n’en est pas une forme outrancière. La guerre est regrettable, mais elle est en nous, nous la comprenons. Mais dans la haine nazie, il n’y a rien de rationnel 8 .” »
    Régine repose le livre, soudain très lasse. La lecture semble l’avoir épuisée.
    « Et je pourrais continuer ainsi pendant des pages et des pages. C’est cette incompréhension qui a du reste poussé Primo Levi au suicide. Ou alors, au contraire, l’effroi ressenti à mesure qu’il approchait de la vérité… »
    Elle referme le livre et le replace dans la bibliothèque sans un mot. Je pense alors que l’entretien est terminé. Mais voilà que, regagnant son fauteuil, elle s’anime à nouveau.
    « J’allais oublier un point essentiel : la transmission, l’obsession nazie de couper la transmission ! »
    Elle a retrouvé sa verve, se servant des mots pour chasser de son bureau l’ombre du grand intellectuel italien. Au moment où elle s’apprête à développer la question, je pense à cette célèbre ordonnance émanant de la Sécurité du Reich, datant d’octobre 1940, demandant à toutes les autorités allemandes d’empêcher les Juifs d’émigrer à l’Ouest. Les rabbins et les enseignants du Talmud y sont particulièrement visés, responsables, selon l’ordonnance, de la régénération spirituelle et durable du judaïsme. Ce sont eux les plus dangereux.

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