Le Coeur de la Croix
leurs
extrémités disparaissaient. Enfin, son âge, son poids, le faisaient se pencher
vers le sol, recouvert de feuilles. Le sycomore avait quelque chose d’Atlas, le
Titan condamné par Zeus à porter le ciel.
— L’arbre dont on a fait la Vraie Croix, déclara
Guillaume.
Il passa la main sur les formes chenues du vieil arbre,
montrant où celui-ci avait été taillé, et de quelle manière il avait cicatrisé.
Le moule d’une croix apparaissait en creux dans le tronc et les branches, y
formant une profonde blessure où un filet de sève suppurait. Avec le temps, la
plaie s’était agrandie au lieu de s’obstruer, comme une main qui s’ouvre au
lieu de se fermer.
— Connaissez-vous les « cagots » ?
demanda Guillaume, la paume poisseuse du sang de l’arbre.
— Non, je ne crois pas…
— Ce sont les descendants des Juifs qui firent la Vraie
Croix. Des menuisiers, comme Joseph. Mais celui-ci est béni de Dieu, alors
qu’eux sont maudits…
— Pour avoir assemblé la Vraie Croix ?
— Oui. Et n’avoir utilisé cet arbre que pour une seule
croix, sans qu’on sache trop pourquoi. Il aurait poussé à partir d’une des
branches de l’arbre de la Connaissance. Le roi Salomon en aurait fait un pont,
et la reine de Saba, frappée d’une vision de la Passion du Christ, serait venue
l’adorer, plusieurs siècles avant sa naissance… À l’origine, la croix était
destinée à Barabbas. Certains disent que son écorce avait été traitée de façon
spéciale, et que son bois aurait reçu la propriété de ramener à la vie ceux qui
étaient couchés dessus… Peut-être les cagots étaient-ils de puissants
magiciens, des partisans de Barabbas en lutte contre les Romains ? Ce
stratagème aurait eu alors comme motif de sauver Barabbas de la crucifixion,
mais Barabbas n’a pas été crucifié. Jésus le fut à sa place, et donc bénéficia
des propriétés magiques de l’arbre… Si c’est bien lui qui a été crucifié. Car,
aujourd’hui encore, beaucoup croient que le Christ ne l’a pas été non plus,
mais que ce fut Judas, ou Simon de Cyrène, une apparence du Christ, ou Barabbas
lui-même… Les elkésaïtes, par exemple, affirment que c’est un Christ terrestre
qui fut mis en croix, mais que le véritable Christ, le Christ céleste, fut
rappelé au Ciel par son Père. Les mérinthiens, au I er siècle de
notre ère, pensaient à peu près pareil. L’Histoire fourmille de mille autres
interprétations.
— Et vous, que croyez-vous ?
— Je crois que tout cela n’a que peu d’importance. Que
ce soit Simon de Cyrène, Barabbas, Judas, une apparence du Messie ou autre
chose encore, permettrait d’expliquer de façon rationnelle la Résurrection.
Mais, fondamentalement, cela ne change rien au message du Christ – quand
bien même il n’aurait jamais existé. Cela ne lui ôte en rien de sa valeur. Pour
ma part, j’ai trouvé ici des écrits parlant de faits tout aussi
extraordinaires – je vous les montrerai tout à l’heure, quand nous irons à
la mine. Enfin, la Vraie Croix, celle que vous cherchiez, est dans la pièce d’à
côté ; l’arbre dont elle est issue est ici…
— Cet arbre aurait aujourd’hui plus de mille ans ?
Comment peut-on croire une chose pareille ?
— Cet arbre est comme le Phénix, ou Prométhée. Il
renaît de sa souche… Mais ce n’est pas le seul. Il y a, par exemple, à Athènes,
un olivier dont l’origine remonte aux fondations de la ville, et qui paraît
toujours jeune. Dans un autre domaine, certaines femmes, ici, ont plus d’une
centaine d’années et en paraissent toujours seize. Zénobie a plus de deux cents
ans, l’Emmurée a connu Mahomet. Le monde regorge de merveilles.
— Mais…, fit Morgennes, comment expliquer les miracles
de la Vraie Croix, celle que nous avons toujours connue ? On a raconté
tant de choses à son sujet…
— J’en fus moi-même témoin, confirma Guillaume. C’est
vrai. Peut-être qu’à ce moment-là, parce que tous y croyaient, et priaient le
Christ de toute leur âme, la Vraie Croix était effectivement au milieu d’eux…
En fait, peu importe la relique, pourvu qu’on ait la foi.
Morgennes ne savait que penser.
Combien de « Vraies Croix » y avait-il ?
— Vous savez, poursuivit Guillaume, on ne compte plus
le nombre de reliques appelées « Vraie Croix ». Dès le début, sainte
Hélène en ôta quatre fragments pour les rapporter à Rome, en jetant un à la
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