Le Coeur de la Croix
Sultân. Décidément,
ces bédouins avaient encore plus de graisse dans la tête que sur le corps, et
ce n’était pas peu dire. Ils n’étaient bons à rien d’autre qu’à exécuter ses
basses œuvres, et à sucer des noyaux de dattes.
Rawdân parti, Sinan appela l’un de ses fidâï et lui ordonna
d’aller lui chercher une fille. Ces derniers temps, il en faisait une
consommation démesurée. Plus d’une douzaine passaient chaque jour dans son lit.
Ce faisant, il ne pouvait s’empêcher de repenser à Cassiopée. Les Templiers la
lui avaient rachetée 200 000 besants d’or – la rançon d’un roi.
Ces satanés Templiers, auxquels il payait chaque année un tribut de
3 000 besants d’or, s’étaient enfin tournés vers lui. Dieu sait pourtant
qu’ils étaient pires que du vomi de hyène, et plus redoutables que
l’Hydre : il ne servait à rien de les menacer, on pouvait toujours tuer
leur chef, un autre, tout aussi redoutable, le remplaçait aussitôt. En outre,
leur fanatisme n’avait rien à envier à celui de ses Assassins. Il aurait dû
exiger dix fois plus ! Cassiopée n’avait pas de prix.
Cela étant, Sinan avait eu besoin de Rawdân ibn Sultân pour
s’emparer de la nièce de Saladin ; les Maraykhât étant habitués à
parcourir rapidement de grandes distances dans le désert. Ils l’avaient piégée
alors qu’elle se rendait à Bagdad, avaient massacré son escorte, s’étaient
emparés d’elle, puis l’avaient livrée au Vieux de la Montagne.
Mais les Maraykhât n’avaient pas ramené qu’elle : ils
avaient également rapporté la tête de l’ancien évêque d’Acre, Rufinus. Sinan
les avait remis tous les deux aux Templiers blancs, en signe d’obédience.
« De cette façon, avait-il pensé, cela endormira leur vigilance et me
conciliera leurs bonnes grâces, pour aussi longtemps que j’aurai besoin d’eux. »
Mais, avant, Sinan s’était amusé avec Cassiopée et avait
tenté de modeler son esprit, afin d’en faire, à son insu, un instrument de sa
politique. Combien de temps avait-il eu avant que les Templiers ne viennent la
lui reprendre ? Deux ou trois semaines. Pas plus d’un mois.
C’était court, mais presque assez pour en faire une fidèle,
qu’il avait convertie à son culte (du moins le pensait-il). Elle – et
l’évêque d’Acre, ce Rufinus, qui intriguait beaucoup Sinan.
Sitôt après avoir quitté Masyaf, Rawdân ibn Sultân rejoignit
ses hommes, stationnés dans la plaine. Il les chargea d’une première
mission : trouver le fourrage nécessaire aux éléphants, afin qu’ils
passent l’automne en sécurité.
Ensuite, on verrait. (Au pire, on mangerait leur viande, et
leurs défenses feraient de jolis objets.)
Rawdân frotta l’une contre l’autre ses mains rougies par la
gale. Il se délectait à l’avance des nombreux supplices qu’il allait pouvoir
faire subir à ses ennemis, les Zakrad, les Muhalliq et les autres tribus, qui
toutes se gaussaient de son manque de noblesse et de ses façons paysannes. Il
allait leur montrer ce dont les véritables fils du désert, les serpents, les
scorpions, étaient capables. Il ne supportait plus le caractère hautain et les
regards dédaigneux que lui jetaient les Zakrad et les Muhalliq, alors qu’aucun
de leurs soldats ne se battait aussi bien que les siens. Peu après Hattin,
furieux de la façon dont les mamelouks avaient traité ses nobles guerriers à la
suite de l’incursion d’un intrus dans son camp, Rawdân ibn Sultân avait quitté
l’armée du sultan. Il avait renoncé au jihad puisque cela impliquait de livrer
bataille au côté d’un tel porc. Il s’était ensuite rendu dans le djebel
Ansariya, à Masyaf, et avait promis à Rachideddin Sinan de l’aider à rétablir
la Vraie Foi – celle des Batinis – en Égypte, en Syrie, en Perse…
Enfin, partout où cela lui siérait. Sinan lui avait alors enjoint de s’allier à
certains Templiers, appelés « Templiers blancs », qui voulaient eux
aussi restaurer la Vraie Foi – leur Vraie Foi. Ces hommes étaient,
à leur façon, comme les Assassins, des purs : ils voulaient amener le
royaume de Jérusalem à se constituer en État religieux, et même en État de la
papauté.
Si leurs objectifs divergeaient, à moyen comme à long terme,
en revanche, ils avaient un puissant ennemi commun : Saladin. Tant que
celui-ci vivrait, lui qui avait défait le pouvoir chiite des Fatimides, en
Égypte, pour y installer
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