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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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comprendre les prodiges qui
permettaient de l’animer et décidât s’il était l’œuvre du diable ou de Dieu.
C’était indiscutablement celle du diable, et alors que Rufinus et le frère
infirmier devisaient âprement, un flot de paroles hypnotiques avait soudain
jailli de la bouche de Rufinus. Il avait enjoint au frère infirmier de se
rendre sans tarder à la sacristie, de prendre un des nombreux cierges qui s’y
trouvaient, et de l’apporter dans la chambre de Raymond de Tripoli : ce
qu’un supplément d’enquête confirma plus tard, Échive de Tripoli se rappelant
effectivement avoir vu le frère infirmier leur apporter un cierge –
« Pour vos soirées d’hiver », lui avait-il dit avant de repartir.
Mais l’hiver de Raymond de Tripoli, déjà très malade, devait arriver
prématurément : par la main d’une jeune femme. Quand elle avait vu la
bougie dans la chambre de Raymond de Tripoli, et reconnu les dessins, Cassiopée
n’avait pu s’empêcher de l’allumer. Puis elle s’était assise, silencieuse,
immobile, et avait regardé, incapable de parler parce que la fumée montant de
la bougie commençait à agir, lui paralysant les cordes vocales.
    — Qu’y avait-il à regarder ? demanda Beaujeu.
    — Un serpeeeeent ! répondit Rufinus.
    — C’est-à-dire ? insista Beaujeu.
    — Ceci ! fit Morgennes.
    Dégainant Crucifère, il coupa un, puis deux, puis trois,
puis toute une série de cierges. Chacun recélait un aspic, enroulé sur
lui-même.
    — Sacrilège ! s’écria Beaujeu. Mais qu’est-ce que
c’est ?
    Taqi ramassa quelques morceaux de cierges coupés en deux,
les observa et les montra à Beaujeu.
    — Regardez ! Les serpents sont coulés dans la
cire, où ils s’endorment. La chaleur de la flamme les réveille. Ils sortent
alors des bougies et vont mordre le premier venu. C’est un miracle que
Cassiopée leur ait échappé ! Le krak est plein de ces serpents.
Heureusement que nous les avons retrouvés, dit-il en écrasant sous son talon
ceux qui étaient tombés sur les dalles de la réserve, encore engourdis.
    Rufinus pleurait à chaudes larmes. Il demanda à Morgennes de
lui « moucheeer le neeez ». Après avoir soufflé de toute la force de
ses poumons inexistants dans le chiffon, il reprit :
    — C’est Siiiinaaaan ! Il a des alliiiiiiés
iciiii ! Puiiiiisssaaants !
    — Je m’en doute, dit Beaujeu. Déjà, comment se fait-il
que ces cierges…
    Il était tellement en colère qu’il ne put finir sa phrase.
Il ouvrit rageusement la porte de la sacristie et appela les gardes :
    — Qu’on aille me chercher le frère chapelain !
    Le premier garde était parti quand Beaujeu rouvrit la porte
et ajouta :
    — Et le frère infirmier !
    Interrogés, les deux hommes révélèrent – pour le frère
chapelain – que les cierges étaient des dons faits par des pauvres, en
remerciement pour les repas offerts. Apparemment, ceux-ci les fabriquaient
eux-mêmes.
    — Terminé, les repas pour les pauvres ! Terminé,
les pauvres au krak des Chevaliers !
    Et d’ajouter, parce qu’il rechignait à se montrer aussi
dur :
    — On leur jettera à manger du haut des remparts !
    Le frère chapelain se promit de jeûner pendant quarante
années de suite, autant dire, jusqu’à la fin de ses jours. Quant au frère
infirmier, il avoua :
    — Que vous dire : c’est cette face diabolique,
elle m’a ensorcelé avec ses belles paroles ! J’en ai encore la tête comme
un chaudron, mes oreilles tintent encore et mes pieds, ah, mes pieds !
    Le pauvre homme se prenait le front dans les mains, et
tapait du pied par terre. Rufinus le regardait en faisant de grands
« Ooooh ! », comme s’il trouvait qu’il exagérait.
    — Mais enfin, Rufinus, demanda Beaujeu, que vous a
promis Sinan pour que vous fissiez cela ?
    — Un coooorps ! sanglota Rufinus.
    Et de se moucher à nouveau, dans le chiffon de Morgennes.
     
    Le soir même, l’affaire était réglée.
    On arrêta tous les pauvres qui se trouvaient au krak, afin
de les fouiller. Certains avaient sur eux des cierges dissimulant des aspics,
et furent exécutés sur-le-champ. Beaucoup plaidèrent vainement leur cause,
affirmant : « On nous a demandé de vous les donner, ce n’est pas
notre faute ! » Mais il était impossible de savoir s’ils disaient
vrai et l’on préféra ne pas prendre de risques. On les tua comme les autres.
Cassiopée, dont l’envoûtement se dissipait peu à peu,

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