Le Coeur de la Croix
galeries organisées en un réseau si complexe qu’il était
difficile de ne pas s’y perdre. La légende voulait que les Templiers y aient
caché leur trésor, dans une salle sans portes tant ils étaient sûrs que
personne jamais ne s’y aventurerait. En outre, en suivant certains chemins dont
la construction remontait à des temps immémoriaux – et ne semblaient pas être
le fait des fils d’Adam –, on arrivait dans une grande grotte, au milieu
de laquelle se trouvait l’une des neuf portes menant aux Enfers. En fait, très
exactement sous le rocher du fameux dôme du Rocher, où l’on disait que
séjournaient les âmes de ceux qui n’avaient pu gagner le paradis, mais ne
méritaient pas d’être damnées.
En effet, neuf portes permettaient d’aller de la terre aux
Enfers, et l’une d’entre elles se trouvait à Jérusalem.
C’est donc vers celle-ci (dont, au fond, la plupart
ignoraient la localisation exacte) que la foule se précipita, sous les regards
quelque peu stupéfaits d’Héraclius et de Bernard de Lydda. Héraclius était en
train de vivre son rêve – pas tout à fait celui qu’il avait caressé,
certes, mais quand même – et se demandait quand il allait se réveiller. Et
surtout, si cela n’allait pas tourner au cauchemar.
Car aux cris de « Jetons-les en enfer », la foule
avait substitué – à l’instigation de Châtillon, qui l’avait crié le
premier : « Jetons Dieu en enfer ! »
On avait joué à détester Dieu, et mimant la détestation, on
le haïssait pour de vrai.
Héraclius frissonna, et trembla de plus belle quand il vit
que son fils et sa compagne, Pâques de Rivari, suivaient eux aussi le cortège,
saisis de convulsions. Mais où étaient passés les coussins de soie rouge ?
Héraclius regarda de tous côtés, alors que la foule se déversait dans la rue,
et les vit entre les mains de Kunar Sell et de Gérard de Ridefort, qui menaient
la sarabande tel le joueur de flûte de Hamelin.
Héraclius ne voulut pas les abandonner. Avec eux, c’était
son rêve qui partait. Il retroussa sa robe et les suivit en courant, d’abord
dans la rue de David, puis dans celle du Temple – terminée par les hautes
murailles de l’esplanade et le mur des Lamentations.
Héraclius haletait. Sa graisse l’étouffait. Les clameurs de
la foule faisaient trembler les maisons, dont les volets s’ouvraient çà et là
sur une silhouette endormie – qui bien vite se retirait dans le noir.
C’était une vision d’horreur que cette masse de gens en route pour l’esplanade
du Temple, passant au milieu des gravats et des morts.
Un incident se produisit au croisement de la rue des
Germains. Une procession de moines et de moniales de l’église
Sainte-Marie-des-Allemands, qui s’en revenaient à genoux d’un chemin de croix
effectué pour demander grâce à Dieu, tomba sur la foule en furie. Celle-ci,
afin que tout fût accompli, viola les femmes, humilia les hommes, avant de les
dépecer et de dévorer leurs membres. Ce fut une apothéose. Il devait y en avoir
une seconde, mais à laquelle la foule n’assisterait pas – Châtillon ayant
d’autres projets pour elle.
Voyant les moines se faire déchiqueter, Héraclius n’eut plus
de doute : c’était l’Apocalypse !
Pensant à l’or qu’il avait caché et aux trésors de l’Église,
il s’écria en levant un poing tremblant :
— Puisque vous aimez tant l’enfer, allez voir si j’y
suis !
Abandonnant son fils à son propre destin, il attrapa sa
compagne par le bras, et détala aussi vite que ses courtes jambes le lui
permettaient en direction de la tour de David. Où il emballerait ses richesses
et ferait préparer sa carriole.
Comme ils approchaient du pont qui menait à la porte
Splendide de l’esplanade du Temple, Renaud de Châtillon dit à ses
lieutenants :
— Ne nous encombrons pas de gueux !
— On pourrait les faire sortir ! suggéra Kunar
Sell.
— Par la porte Saint-Étienne, précisa Ridefort.
— Excellent ! s’enthousiasma Châtillon en
éperonnant sa monture.
Et de penser : « Ce sera toujours ça de moins à
nourrir quand je serai maître de la ville ! »
Au moment où la foule passait par la porte Saint-Étienne,
dont elle avait massacré les gardes, Balian s’inquiéta :
— Quel est ce raffut ?
— Des gens menés par Ridefort et Châtillon, qui s’en
vont combattre les Sarrasins ! répondit Algabaler.
— Des soldats ? demanda
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