Le Coeur de la Croix
concile de
Vérone cette institution d’un genre nouveau : l’Inquisition, qui
contribuait largement à calmer les esprits.
Son successeur, Urbain III, de son vrai nom Uberto
Crivelli, ancien archevêque de Milan, élu en 1185, s’efforçait de réfréner les
ardeurs du jeune Henri VI : le fils de Barberousse marchait déjà sur
les traces de son père et ravageait les États de l’Église. Ces affaires
compliquaient considérablement le pontificat d’Urbain III, cent soixante-douzième
Successeur de Pierre, et pape actuel.
Ce fut donc à Ferrare que Josias alla le trouver.
De même qu’en matière de vitraux les plus beaux bleus
s’obtiennent en ajoutant de l’urine et du vin à l’oxyde de cobalt, le ciel de
Ferrare recélait un je-ne-sais-quoi de malsain. Depuis que saint Bernard et les
Cisterciens avaient banni de leurs églises couleurs et figures animales ou
humaines, deux écoles s’opposaient. Chez l’une, défendue par Suger et Maurice
de Sully, la représentation de personnages et l’utilisation des plus belles
couleurs, des bleus, des rouges, des verts et des jaunes, étaient
encouragées ; tandis que, chez l’autre, les verres se devaient de rester
incolores, et les motifs, géométriques ou végétaux. Il s’agissait d’une
esthétique austère, où rien ne devait détourner l’homme de la contemplation de
Dieu.
À Ferrare, le ciel appartenait à la première des écoles,
mais paraissait avoir été exécuté, à contrecœur, par un tenant de la seconde.
Ainsi, alors que les couleurs éclataient, et que les roses du couchant se
mêlaient au saphir des cieux, une sorte de grisaille jetée sur l’ensemble lui
donnait un aspect mystérieux. Josias n’aurait su dire exactement pourquoi, mais
il se sentait gagné par la mélancolie.
Le château, en fait une abbaye fortifiée, était dressé au
sommet d’un mamelon, environné de maisonnettes à tuiles orange et d’abricotiers
ployant sous les fruits. Çà et là, des vols d’étourneaux peuplaient l’espace de
leurs cris, dont les toits et les murs se renvoyaient les échos. D’épaisses
murailles, cernées par les eaux vertes d’une douve où nageaient des canards, se
déployaient de part et d’autre d’une double porte bardée de métal. Deux petites
tours (des sortes de beffrois) et une courtine sertie de créneaux en
défendaient l’accès.
Quand Josias et son escorte approchèrent de la lourde porte
d’entrée, un moine donna l’ordre qu’on les laissât passer, puis ouvrit les bras
en signe de bienvenue. Josias n’eut pas le temps de se présenter, que déjà le
moine lui dit :
— Je sais qui vous êtes. Des Pisans nous ont informés
de votre venue et des malheurs qui se sont abattus sur la Terre sainte. Ces
terribles événements ont grandement affecté Sa Sainteté, mais elle aura plaisir
à vous recevoir, malgré sa fatigue…
Des serviteurs vêtus de noir menèrent les chevaux aux
écuries et invitèrent les hommes de Josias à venir aux cuisines, afin de s’y
restaurer. Quant à Josias, il fut conduit par le moine qui l’avait accueilli
dans une longue enfilade de salles aux volets clos et aux parois ornées de
tapisseries à caractère religieux.
Josias profita de ce que le moine s’était emparé d’une lampe
à huile pour mieux l’étudier : il avait dans les quarante ans, et sa mine
était grave. Seuls ses yeux, où brillait la lueur froide d’une intelligence
habituée à naviguer entre les territoires naturellement opposés de la Terre et
des cieux, animaient une face dont les devoirs avaient figé les traits. Du
reste, son visage s’harmonisait avec sa personne : grande et droite comme
un cyprès, la peau parcheminée.
En fait, sous un aspect assez peu sympathique se cachait
quelqu’un de fiable et de grande qualité, doté d’une écoute amicale.
Ce moine appartenait à l’ordre des Bénédictins et s’appelait
Alberto di Morra. Il occupait la charge de secrétaire du pape. Il confia à
Josias :
— On croit qu’à Ferrare les papes sont moins puissants
qu’à Rome. Il n’en est rien : ils le sont tout autant, et peut-être même
davantage. Les nouvelles vont beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine. Nous en
recevons tous les jours : elles viennent de visiteurs, d’ambassadeurs, de
marchands, ou de rapports qui nous arrivent de telle ou telle paroisse. On ne
peut rien nous cacher. Ce que l’Église veut savoir, elle finit toujours par le
découvrir.
Cela avait
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