Le Coeur de la Croix
malheur à celui qui
n’ensanglante pas son glaive ! conclut-il en citant un verset du Coran.
L’officier de cavalerie monta en selle, avec à sa suite une
quarantaine d’hommes qu’il divisa à la sortie de la ville en trois petits
groupes. Lui-même s’en alla vers le sud – la région la plus sûre à
fouiller, étant sous la domination des troupes de Saladin.
Mais il s’aperçut bien vite que l’apparente facilité de la
tâche, « retrouver une carriole tirée par un âne avec quatre personnes à
son bord », était un leurre : en quelques heures de chevauchée, ils
croisèrent de très nombreuses carrioles. La plupart étaient tirées par des
ânes, et beaucoup avaient à leur bord un couple de vieillards, un jeune homme
et un adulte. Le chien avait dû mourir ou sauter en chemin. Quant à l’œil
crevé, ce n’était qu’un détail… En fait, leur tâche lui semblait impossible.
À moins qu’ils ne fussent partis vers le nord ?
De toute façon, cela ne changeait rien. Et puisqu’il ne
pouvait massacrer tous les équipages répondant à la description, il choisit une
carriole au hasard et donna l’ordre de l’attaquer. Cela passerait pour l’œuvre
de pillards ou d’Assassins – ici, il n’y avait que l’embarras du choix.
Après, il décapita l’un des adultes qui se trouvaient dans la carriole, et lui
creva l’œil droit de la pointe de son sabre. Puis, il regagna la ville au petit
trot.
Quand le cadi vit son officier revenir, l’enquête avait bien
progressé. En outre, la place du marché avait été nettoyée et les souterrains
de la ville investis. On y avait trouvé des grottes servant de refuge aux
Assassins, que la troupe continuait à fouiller.
L’officier sauta de cheval et s’approcha d’Ibn Abi Asroun.
— Mission accomplie, dit-il les yeux rivés sur ses
chausses.
— Et sa tête ? demanda le cadi.
— La voici.
Le cadi, qui n’avait fait qu’entr’apercevoir Morgennes à
Hattin, le reconnut cependant parfaitement. Ravi, il envoya un pigeon à
Saladin, avec cette nouvelle : Morgennes avait trouvé la mort peu après
s’être enfui de Damas en compagnie d’un marchand juif, décédé lui aussi. Ils
pouvaient maintenant se concentrer sur le problème des Assassins et de leurs
nouveaux alliés : les Maraykhât et les Templiers.
13.
« Car je crains, une fois
venu, de ne pas vous trouver tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez
pas tel que vous voudriez, et qu’il y ait des querelles, de la jalousie, des
fureurs, des rébellions, des calomnies, des délations, de l’orgueil, et des
troubles. »
(II e épître
aux Corinthiens, XII, 20.)
Plusieurs possibilités s’offraient à l’équipage de la carriole,
dont la charge avait doublé depuis son passage au marché des esclaves. Arguant
de la nécessité de trouver rapidement un point d’eau, Massada proposa d’aller à
l’est, en territoire ismaélite, où ni les chrétiens ni les Mahométans ne
viendraient les chercher. « Pour d’excellentes raisons ! » dit
Morgennes. « D’ailleurs, nous avons suffisamment à boire »,
ajouta-t-il en désignant plusieurs outres pleines. « Mais ils ne vont pas
tarder à nous retrouver ! Il faut faire vite ! » le pressa
Massada, tenaillé par la crainte d’être, au mieux, à son tour vendu comme
esclave – lui qui en avait tant acheté –, ou, au pire, passé par le
fil d’un sabre.
— Justement, répliqua Morgennes. C’est pour cela qu’on
va prendre le temps de réfléchir. Ce n’est pas le moment d’aller dans la
mauvaise direction… Jérusalem ?
— Hors de question ! fit Massada. La ville va
tomber d’un jour à l’autre, si ce n’est déjà fait. En plus, elle est interdite
aux Juifs…
— Tyr ?
— Ce n’est pas une mauvaise idée, mais il nous faudrait
passer par les plaines du Marj ‘Ayun, de Sidon ou du Panéas, qui sont toutes
occupées par les Mahométans.
— Alors, dit Morgennes, si l’est, le sud et l’ouest ne
nous sont pas permis, je ne vois plus qu’une seule solution.
De toute évidence, il voulait aller au nord.
— Le krak des Chevaliers.
— Qu’est-ce donc ? demanda Fémie, qui n’avait pas
dit un mot depuis leur départ de Damas.
— La principale forteresse franque en Terre sainte, un
asile donné par Dieu aux hommes de guerre, et plus particulièrement aux
Hospitaliers.
— C’est de là que tu viens ?
— J’appartenais à la commanderie de
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