Le combat des ombres
de mariage et c'est un nouveau signe que Dieu est de notre côté. Le voleur a dérobé la bague nuptiale symbolisant la première union de monseigneur d'Authon. Or, ce dernier affirme l'avoir ôtée de son doigt dès après le décès de son épouse et ne l'avoir jamais portée à nouveau. Je le crois.
– Et vous avez grand raison. J'en attesterai devant le tribunal, ainsi que tous les proches du comte, affirma le grand bailli.
Agnan dégusta une lente gorgée de son breuvage, hésitant :
– Voyez-vous, monsieur, j'ai véritablement eu le sentiment qu'un trouble agitait le seigneur inquisiteur Jacques du Pilais lorsqu'il m'est venu rejoindre dans mon bureau afin de me confier les actes. J'en jurerais : il ignorait que cette bague avait été dérobée afin d'incriminer le comte. Lui aussi a cru en sa sincérité.
– Alors notre affaire se présente plutôt bien, se réjouit Monge de Brineux. Artus d'Authon sera lavé de tout soupçon sous peu et le jugement de Dieu entériné.
– Vous allez trop vite en besogne, j'en ai peur…
Le débit d'Agnan se précipita et Monge de Brineux lui signifia d'un geste de baisser le ton de peur d'oreilles indiscrètes.
– Le seigneur inquisiteur a requis un complément d'enquête au sujet de cette bague, prétendument découverte deux ans après le meurtre de Florin. Étant entendue la qualité de monseigneur d'Authon et sa réputation d'honneur, il pouvait parfaitement l'autoriser à rejoindre ses terres à la parole de n'en point bouger. Pourquoi donc Jacques du Pilais a-t-il ordonné le maintien du comte en la maison de l'Inquisition ? Certes, il y sera traité tel un témoin et non un suspect, mais je ne m'explique cette décision que d'une façon qui me terrifie : on veut atteindre la comtesse. Le comte gêne, on l'écarte donc. Agissez au plus vite, je vous en conjure. Madame est gravement menacée.
Une onde glacée noya le cerveau du grand bailli. Il se leva avec brutalité et héla :
– Maîtresse Taure… Votre mari, au plus vite. Qu'on me prépare le compte de ce que je vous dois. Que l'on selle à l'instant mon cheval. Celui de monseigneur Artus reste en votre écurie. Son bon soin vous sera payé.
Maître Taure, arrivé en trombe, risqua :
– Seigneur, la nuit est proche. Vous ne pouvez…
La main à plat sur l'épée qui battait contre son mollet, le grand bailli rétorqua :
– Qu'un malandrin tente donc de me barrer le chemin ! Je suis d'humeur à lui trancher les oreilles.
1 Ou « hydromel vineux », fermentation de miel et d'eau, à laquelle on ajoutait des aromates, du vin blanc ou de l'eau-de-vie afin de la conserver. Connue depuis l'Antiquité.
Château d'Authon-du-Perche, Perche, septembre 1306
Installé comme un soldat en campagne sur la paillasse que Ronan avait fait pousser contre le mur jouxtant la porte des appartements de Madame, Francesco de Leone lisait un psautier. Tant de nuits passées dans des tentes de fortune ou à la belle étoile. Il s'en souvenait à peine.
Une jeune servante s'avança à pas de loup vers lui. Il leva le regard vers elle. Elle se plia en révérence, le visage grave.
– Je suis Guillette, au service de Madame. Euh… messire, de grâce, ne me tenez pas rigueur de mon indiscrétion. Que mon inquiétude pour ma bonne maîtresse soit mon excuse. Est-elle en danger que vous soyez devant son huis ?
Le chevalier répondit d'un ton doux :
– Nul danger puisque je suis là.
– Puis-je rester à son côté afin de la réconforter ? Je pourrais dormir en bas de son lit. Elle est si généreuse, si bienveillante avec tous.
– Acquittez-vous de votre service habituel puis laissez-la reposer et tranquillisez-vous. Elle ne risque rien.
D'un regard discret, Leone vérifia que la fille ne tenait rien, ni confiserie, ni boisson.
Elle ressortit moins d'une heure plus tard, l'air préoccupé, et déclara :
– Madame est en vêtements de nuit et ne tardera pas à se coucher. De grâce, ne la dérangez pas. Elle a grand besoin de repos. Dieu du ciel, elle a si petite mine. Que se passe-t-il à la fin ? Vous devant cette porte, les faiblesses de notre dame, Ronan fermé comme une prison, qui ne dit mot sauf pour interdire qu'on lui porte quelques douceurs… Je sens qu'elle est menacée et mon cœur se serre d'appréhension.
– Tout va bien maintenant. Vous pouvez disposer en paix, Guillette.
– Vous n'allez pas souper devant cette porte,
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