Le combat des ombres
vers la chapelle attenante à sa chambre en murmurant d'une voix désespérée :
– C'est impossible ! Pas Guillette. Pas elle.
Des hoquets leur parvinrent bientôt.
Joseph cria en direction de la chapelle.
– Forcez bien tout en dehors, c'est notre unique secours, madame.
Agnès était livide, les yeux rougis par l'effort lorsqu'elle ressortit. Le lavage recommença.
Les hoquets reprirent. Joseph s'enquit à voix basse :
– Et la monstresse ?
– Je me charge d'elle, répondit le chevalier d'un ton si plat que l'on devinait la rage qu'il recouvrait.
– Allez-vous l'occire ?
– Certes pas, en dépit du bonheur que l'exterminer me procurerait. Elle doit parler et elle parlera. Ensuite, elle regrettera que je ne l'aie pas pourfendue sur-le-champ. Les hommes du grand bailli feront leur office.
Guillette sortait du restrait 2 des serviteurs. L'étonnement se lut sur son visage lorsqu'elle demanda :
– Le château est si vaste. Êtes-vous perdu, messire ?
– Non, c'est toi qui l'es, rétorqua Francesco de Leone.
Une main sans aménité saisit Guillette au bras, faisant remonter sa manche jusqu'à découvrir une large tache de vin qui s'étalait dans le pli de son coude.
– Que faites-vous… ? Vous me faites mal, protesta la fille.
Leone luttait contre la fureur qui ne le quittait pas depuis qu'il avait deviné l'identité de l'enherbeuse. Une fureur meurtrière. Il fouilla les plis de la cotte de la fille de sa main libre jusqu'à sentir la bosse d'une petite bourse dissimulée sous sa ceinture.
Guillette comprit. Elle rua, tentant de le griffer, de percuter l'entrejambe de Leone de son genou. Il la propulsa devant lui d'un mouvement sec et lui tordit le bras derrière le dos, jusqu'à lui arracher un cri de vraie douleur.
– Sache-le. Frapper une femme me serait une honte cuisante. Cela étant, tu n'es pas une femme mais une vipère de la pire espèce. Je n'hésiterai donc pas. Avance sans plus de résistance ou je te roue de coups, quitte à te traîner ensuite. Ne me tente pas. Je lutte en ce moment contre le dégoût et la haine que tu m'inspires.
La peur lui faisait maintenant claquer des dents. Elle obtempéra. Leone la poussa dans l'escalier en colimaçon qui menait aux cachots et aux caves. Une torche à la main, Ronan les attendait.
– Je vous en supplie, sanglota Guillette. C'est une horrible méprise. Je ne sais même pas de quoi vous m'accusez. Je n'ai rien commis de vil. Rien volé.
– Ronan, ôtez-lui la bourse qu'elle porte cachée sous sa ceinture. N'ayez crainte, je la maintiens. Le serpent est mauvais et sait se défendre.
Le vieux serviteur récupéra un petit sachet de toile. Une poudre fine d'un gris bleuté s'écoula au creux de sa main.
– Fichtre, qu'est ceci ? ironisa Leone, dangereux. Veux-tu l'avaler devant nous ? Le goût en est plaisant, sucré.
Les yeux de l'assassine s'agrandirent. Elle secoua la tête en signe de dénégation.
Leone la poussa dans le cachot que Ronan verrouilla aussitôt. Elle trébucha et s'affala, pour se redresser bien vite. La peur l'avait abandonnée. Défigurée par la mauvaiseté, elle hurla, tentant de les atteindre de coups de pied au travers des barreaux auxquels elle se cramponnait :
– Crevez, crevez tous ! Je ne vous crains pas. Elle vous crèvera. Elle me sauvera. Elle sait. Elle connaît les secrets.
Leone n'eut nul doute qu'elle désignait celle qui avait préparé le sachet noir retrouvé sous le lit de la comtesse et ordonné son enherbement. Il leur fallait lui mettre la main dessus. Elle était la seule qui puisse leur permettre de remonter jusqu'à Honorius ou à son sbire en royaume de France. Parce que la colère l'étouffait, il lança à la fille :
– Crois-tu ? À ta place, je me rongerais les sangs. Si sa science malfaisante est si puissante, quel besoin avait-elle de s'adjoindre l'aide d'une vulgaire enherbeuse ?
Les yeux de Guillette s'étrécirent et elle lui cracha au visage, lui lançant une bordée d'injures.
Peu avant laudes*, Monge de Brineux, abruti d'épuisement, démonta dans la cour du château, hélant au service afin que l'on s'occupe de sa monture excédée par la fatigue de la course forcée. Ronan se précipita à sa rencontre, tenta de lui rapporter la situation, s'embrouillant dans ses explications au point que Brineux ne retint que deux choses. Madame avait failli périr enherbée et le chevalier Francesco de Leone l'avait
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