Le combat des ombres
lui dessécha la gorge. Que lui cachait-on ? Ses paumes abandonnèrent une empreinte humide sur le bois de rose. Elle se précipita hors de sa chambre.
Monge de Brineux avait quitté le château pour son domaine. D'un ton coupant, Agnès somma messire Joseph de lui avouer la vérité :
– À l'instant, monsieur. Votre silence est coupable et je vous en tiendrais grief s'il persistait. Où se trouve mon époux ? Je sais, je sens que tous ici me cachent de bien vilaines nouvelles.
Joseph de Bologne baissa la tête et admit :
– Certes, madame. Cependant, je ne puis vous les narrer. J'ai reçu ordre du seigneur d'Authon de me taire, tout comme Ronan.
– Ainsi, voilà bien l'explication de la rareté de monsieur de Brineux auprès de moi !
– Il a été fort occupé avec votre assassine, tenta le médecin d'une voix si peu convaincue que la comtesse s'emporta.
– Je vous en prie, messire, cessez ces grotesques balivernes ! Me prendriez-vous pour une sotte ? J'exige la vérité et je l'obtiendrai !
Elle le planta là et rejoignit les communs.
Ne rien redouter encore. La crainte dissipe la force. Savoir. Ensuite, elle agirait.
Francesco de Leone avait aménagé son repaire dans la chambrette située au-dessus des écuries. Y logeait habituellement le vétérinaire lorsqu'il veillait sur la délivrance d'une jument. Agnès tambourina à la porte. Elle n'hésita qu'une seconde puis pénétra. On lui mentait avec obstination, lui dissimulant une sinistre situation : les manières de dame n'étaient plus de mise. Francesco de Leone avait encore dû partir pour l'une de ses longues courses. Les rares vêtements de siècle du chevalier de Leone étaient pliés avec soin sur une escame. Si peu de choses : un chainse de lin élimé, des braies de paysan, une cotte de laine bouillie d'une couleur indéfinissable. Sur une petite table de travail en peuplier étaient posés un psautier ainsi que des rouleaux de papier couverts de la haute écriture nerveuse de l'hospitalier et une corne à encre. Nulle bassine, nul broc d'eau. Sans doute procédait-il à ses ablutions dans l'alveus de la cour. Le seau d'aisance était poussé dans un coin. En dépit de l'affolement qui avait gagné Agnès, une étrange tendresse l'envahit. Une tendresse pour la passion qui avait poussé Leone à abandonner une fortune qui faisait de sa famille l'une des plus riches d'Italie, un avenir de facilité et de fêtes afin de vivre pleinement sa foi.
Elle s'approcha de la table, soulevant les rouleaux afin de découvrir une bande de papier vierge, récupéré d'un court message, qui lui éviterait de gâcher une belle feuille. Elle se fit à nouveau la réflexion qu'elle n'oublierait jamais l'habitude de la pénurie. Tant mieux puisqu'elle ne le désirait pas. Savoir traiter les choses les plus usuelles, ne jamais oublier leur valeur, se souvenir comme elles font défaut lorsqu'elles viennent à manquer. Elle s'installa sur la petite chaise et rapprocha la corne à encre. Sa longue coudière bouscula quelques rouleaux dont l'un chut sur le parquet.
Elle se pencha afin de le récupérer et ses yeux tombèrent sans même qu'elle le souhaite sur les premières lignes d'une lettre datée du matin.
Mon bien-aimé cousin,
J'ai eu tant à faire depuis mon arrivée à Angers que je n'ai point trouvé le temps de vous informer de mes recherches. J'espère de tout cœur que vous ne m'en tiendrez pas rigueur. En dépit de mes efforts afin de retrouver le diptyque que monsieur votre père avait cédé, je n'ai toujours pas de piste. Soyez assuré que je cherche sans relâche et ai compris toute l'urgence de la mission que vous m'avez confiée.
Votre humble et dévoué Guillaume.
Que signifiait cela ? L'écriture était indiscutablement celle du chevalier. Pourquoi parlait-il d'Angers, d'un diptyque ? Pourquoi signait-il d'un prénom qui n'était pas le sien ? Un doute l'effleura : il s'agissait d'un message d'entente. Son destinataire comprendrait son sens exact ; en revanche, son contenu n'évoquerait rien s'il venait à tomber en de mauvaises mains. Une certitude s'imposa soudain : Leone cherchait Clémence, qu'il croyait toujours garçon, pour le compte de son prétendu cousin. Celui-ci connaissait-il la prophétie ? Était-il au courant du second thème qui désignait la fille d'Agnès ? Savait-il qu'un manuscrit représentant des femmes au sang vert avait été découvert en la bibliothèque secrète des
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