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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Clairets ? Elle n'en avait nulle idée.
    Elle empêcherait Leone de retrouver Clémence. Elle lutterait jusqu'à son dernier souffle afin qu'il n'impose pas à sa fille le futur glorieux et meurtrier que les astres avaient révélé.
    D'une main qu'elle s'efforça de raffermir, elle traça quelques mots sur une bande de papier :
    Monsieur,
    Il semble que nos chemins divergent encore davantage depuis que vous êtes rentré de Chypre. Faites-moi, je vous prie, la grâce de partager ce soir mon souper afin que nous puissions un peu deviser en amitié.
    Votre dévouée Agnès d'Authon.
    Elle déposa la courte missive bien en évidence sur l'étroit lit bas et sortit de la pièce.

    Elle avait ordonné qu'on la prévînt sitôt le retour du chevalier de Leone et que l'on dresse la table pour deux. Ensuite, elle avait attendu, assise sur la chaire de sa chambre, un livre entrouvert sur les genoux. Complies* n'était pas loin. Où donc s'étaient envolées ses pensées durant tout ce temps ? Elle aurait été incapable de le préciser. Même l'impatience semblait s'être évanouie. Elle attendait, rien d'autre. Elle attendait un pas lourd et urgent qui lui dise qu'Artus allait pénétrer dans sa chambre. Elle attendait un rire de gorge qui signifie que Clémence allait se précipiter dans ses bras. Elle attendait le soulagement, luttant vaillamment contre la peur qui la prenait d'assaut. La peur, son ennemie jurée. « La peur n'épargne pas les morsures, ma chérie », avait jadis affirmé la baronne de Larnay. Relever les oreilles et la queue. Faire face. Tenir la peur en laisse. La museler.
    Un discret choc contre sa porte. Une petite servante qu'elle ne se souvenait pas d'avoir déjà vue passa la tête par le mince entrebâillement des battants :
    – Not'dame…, murmura-t-elle d'une voix intimidée. C'te Ronan qui m'envoie. Messire chevalier est d'retour. Y s'ôte la crasse du jour d'le visage qu'il a dit et y vous r'joint à vot'invitation.
    La toute jeune fille disparut avant qu'Agnès ait eu le temps de la congédier. Une aide de cuisine, sans doute. Un petit peuple très affairé qu'elle rencontrait peu.
    Elle lutta contre l'inertie qui l'encourageait à demeurer là, assise, et se rendit dans la salle à dîner de taille modeste, réservée aux réunions ne rassemblant qu'un petit nombre de commensaux intimes.
    Elle se laissa tomber sur sa chaise. L'esprit tendu vers une seule urgence : soumettre la peur, quoi qu'elle apprenne ensuite. Elle attendit encore.

    S'écoula-t-il une heure ou quelques minutes avant que Leone ne la rejoigne, elle n'aurait su le préciser. Sous la gaîté forcée du chevalier, l'épuisement, l'inquiétude. Elle le rejoignit dans sa feinte légèreté :
    – Chevalier, merci de l'honneur que vous me faites de partager mon repas.
    – L'honneur est mien, madame, s'inclina-t-il. S'y ajoute le plaisir de ce moment avec vous.
    Il sourit. Ce bel et lent étirement de lèvres qu'elle aimait.
    – D'autant que c'est un chien affamé qui s'installe à votre côté, précisa-t-il.
    Elle se souvenait. Même au pire des instants de doute ou d'angoisse, la présence de Leone l'avait toujours apaisée. Étrange, elle ne se sentait aucune attirance de femme pour lui. Pourtant, il semblait à Agnès que Leone sécrétait une sorte d'ombre bienfaisante, reposante, qui l'enveloppait. Elle aurait pu s'endormir au creux de cette ombre, telle une enfante enfin consolée. Était-ce parce qu'ils partageaient tous deux de pesants et blessants secrets qu'Artus ignorait ? Celui de ses enfants, conçus hors la couche conjugale. Celui de la prophétie ? Peut-être.
    Benoîte, une servante entre deux âges, déposa devant eux le premier service, un potage de pois à la sauge et au romarin, ainsi qu'une carafe de vin d'Épernon 1 . À voix basse, Leone remercia Dieu de ses bienfaits.
    Une déconcertante sensation habitait Agnès : l'impression d'avoir été séparée de son corps. Ils avalèrent leur soupe en silence, se souriant parfois afin de meubler leur désert de mots.
    Agnès bagarra pour revenir en elle-même. Benoîte réapparut, portant le deuxième service, un haricot de mouton rehaussé d'une pointe d'hysope 2 et accompagné d'une vinagrete 3 dont la subtilité consistait à être dépourvue de vin aigre, ainsi que l'expliqua Agnès au chevalier. Celui-ci, ravi d'un aimable sujet de conversation, lança :
    – Fichtre, c'est une merveille. Comment se débrouille votre

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