Le combat des Reines
Guido et elle laissèrent libre cours à leur joie : cette
fortune aiderait le monarque, babillaient-ils. Savais-je, s'enquit Guido,
comment le roi avait été informé ? Je haussai les épaules et prétendis
qu'il enquêtait sur diverses questions, y compris sur un vieux clerc nommé John
Highill. Sa Grâce se souvenait-elle de ce nom ? Marguerite fit une petite
grimace et rétorqua qu'elle avait, en effet, ouï ce nom mais avait oublié la
figure et l'homme.
— Je
présume que c'était l'un des vieux serviteurs de mon époux, murmura-t-elle.
Mais Mathilde, ajouta-t-elle en souriant, et cette fois l'amusement plissa ses
beaux yeux, Guido, Deo gratias , va mieux. Je vous en remercie.
Elle soupira et
désigna avec affection ses bambins aux joues rouges et aux yeux lourds de
sommeil.
— Je
dispose de peu de temps ; je cours sans cesse entre le palais et ici. Peu
de temps pour la politique, moins encore pour prier, néanmoins, Guido...
Elle tapota la
courtepointe.
— ... vous
devez rester céans jusqu'à ce que vous soyez rétabli. La comtesse, ainsi
qu'Agnès, vous rendra visite, et, si elle n'est point trop occupée, cette chère
Mathilde aussi.
CHAPITRE
XII
« Donne-nous la
paix, ô Seigneur, et fasse que le roi
s'accorde avec ses
barons. »
Vita
Edwardi Secundi
Je quittai la
chambre, décontenancée par l'attitude de la reine douairière et de Guido, trop
troublée cependant pour réfléchir. J'avais affirmé à Demontaigu que l'agression
contre La Maru n'était qu'un fil dans la tapisserie que je tissais. Mais, par
l'Évangile, ce n'était pas le cas ! À présent que j'étais seule, je n'en
pouvais plus. Mon ventre gargouillait. Mon esprit voltigeait comme un oiselet
captif dans une pièce. Il fallait que je calme mes humeurs. J'ai révélé comment
je sélectionne les événements à la façon d'une chandelle dont la flamme attire
notre regard vers une certaine scène, une couleur, un fil, dans une tapisserie,
un tableau. Ou, mieux encore, je me sentais là comme un guetteur sur le chemin
de ronde d'un château. Une minute succède à l'autre. Les heures passent. Les
jours, les semaines et les mois ne font plus qu'un. Une série de tâches
domestiques commence et s'achève et, soudain, le guetteur voit flamboyer le
lointain signal qui annonce le danger. Voici venir les temps agités.
Les soldats sont
prêts, corde de l'arc tendue, carquois remplis, poignards aiguisés, ceinturons
bouclés. Oui, j'étais ainsi. La routine quotidienne jusqu'à ce que le péril se
précise comme une brume glacée s'infiltrant sous les portes, se faufilant dans
ma vie à travers les fentes et les crevasses. Je tenais plus que tout à une
consolation qui apaisait mon âme : mon amour de la médecine et ma
connaissance des plantes.
Le poison
administré à Guido m'intriguait encore, aussi, quand je regagnai le confort de
ma chambre bien chauffée, j'ouvris le coffre contenant mes livres, cette arche
aux trésors renfermant divers traités : le De agricultura de
Palladius [12] , le Nomina
herbarum du moine de Cerne [13] , le De
virtutibus herbarum , ce célèbre poème latin de Macer [14] , l' Herbarium d'Apulée, l'Etymologiae d'Isidore de Séville et le Liber
subtilitatum diversarum de l'érudite Hildegarde de Bingen. Mon oncle avait
possédé tous ces volumes et s'en était servi pour m'éduquer avec autant de zèle
qu'un maître en théologie s'appuierait sur les canons de l'Écriture ou les
enseignements des Pères de l'Église. Quand il avait été arrêté, on avait saisi
ces manuscrits, mais Isabelle avait rapporté des copies de la bibliothèque du
Louvre, et quand divers monastères ou abbayes s'enquéraient du présent qu'ils
pourraient lui faire, elle demandait toujours une thèse, un livre ou un
manuscrit précis, soit les légendes d'Arthur, soit une collection de chansons
de goliards ou un recueil de médecine. Elle admirait ces derniers,
s'intéressant beaucoup aux herbes, surtout, comme elle le faisait remarquer
avec contrition, à ces « neuf ténébreuses ombres de la nuit » qui
calmaient les humeurs et traitaient tous les maux, per omnia saecula
saeculorum — pour les siècles des siècles —, en d'autres
termes, aux poisons !
Je compulsai les
ouvrages, notant avec soin certaines entrées. Puis je décidai de me rendre dans
mon petit herbarium privé dans l'un des jardins du château. De nos jours, le
manoir de Bourgogne a disparu, et
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