Le combat des Reines

quelque chose se tramait courait
dans le palais, les clos et les bailes du manoir de Bourgogne. Ap Ythel
rassemblait ses hommes. Des cohortes de Kernia se formaient aussi sous l'œil
diligent des chevaliers de la maisnie royale, les hommes de main du souverain,
casqués et en armure, montés sur leurs destriers qui s'ébrouaient et piaffaient
sans cesse sous une forêt de pennons et de bannières. Gaveston en personne
devait conduire le cortège, dans une démonstration de force, le long du quai de
Westminster jusqu'au Nouveau Temple. Bertrand et moi contemplions le spectacle
d'une fenêtre. Ap Ythel passa près de nous, tout affairé. Il s'arrêta et nous
expliqua que les grands barons, croyant que le monarque s'en prenait à eux,
réunissaient aussi leurs troupes. Édouard avait chargé Ingleram Berenger de
faire savoir en son nom que ce déploiement royal n'était qu'une affaire entre
lui et les Templiers. Demontaigu, à ces mots, se tendit. Après le départ d'Ap
Ythel, je lui narrai en détail ce que je ne lui avais révélé qu'en partie lors
de notre retour de la cité.
    — Par Dieu
et tous ses anges !
    Demontaigu me
prit la main.
    — Bien sûr !
Le vieux roi est mort l'été dernier ; Langton a dû savoir qu'il allait
être disgracié. Il a caché en secret son trésor dans un endroit des plus sûrs,
le Nouveau Temple, la maison mère de notre ordre dans ce royaume. Les
Templiers, ajouta-t-il, amer, banquiers aussi bien que soldats.
    Il eut un rire
sans joie.
    — Langton a
dû croire que c'était la cachette la plus imprenable du monde, protégée par des
chevaliers qui faisaient davantage allégeance à Dieu et au pape qu'à n'importe
quel roi de la terre. Quelle révolution de la roue de la Fortune ! Langton
chute, mais le Temple aussi, tout d'un coup, brutalement ! Peu nombreux
sont ceux qui auraient entendu parler d'un trésor caché.
    Il soupira.
    — Et la plupart
sont sans doute morts, ont fui ou se trouvent sous bonne garde comme notre
maître.
    Il rit, plongea
son visage dans ses mains puis releva la tête.
    — C'est
comme des rivières qui convergent et n'en forment plus qu'une, observa-t-il à
voix basse. Le vieux roi meurt ; Langton s'affole ! Il enfouit son
argent chez les templiers. Ces derniers tombent ; Langton est emprisonné à
la Tour. Ce vieux goupil doit être hors de lui ! Il complote encore...
    Bertrand me
lança un coup d'œil.
    — ...
depuis sa geôle. Langton, l'aragne, ne peut se reposer, il sait que ce n'est
qu'une question de temps avant que ce trésor soit découvert. Aussi
l'offre-t-il, du moins en offre-t-il une partie, à Winchelsea, déjà enflammé
d'un juste courroux devant l'arrestation d'un évêque comme lui. Bien entendu,
Winchelsea s'empresse d'accepter. Financièrement, le roi est aux abois et les
troupes des grands seigneurs leur coûtent plus cher de jour en jour. Cette
fortune, si elle revenait dans les mains de Winchelsea, amènerait en fin de compte
Édouard à négocier.
    — Ainsi,
répliquai-je, Winchelsea tente d'obtenir le Nouveau Temple, propriété sise à la
frontière mal définie qui sépare le monde ecclésiastique du monde séculier.
C'est une demande raisonnable, garante de la bonne foi du roi. Ce dernier
devrait être tenté d'accepter. À quoi lui servent une église vide, des casernes
et une demeure déjà saccagées et pillées de tous leurs objets de valeur ?
    — Et,
certes, s'empressa d'ajouter Demontaigu, la remise du Nouveau Temple serait
considérée comme une mesure publique prise contre l'ordre pendant que
Winchelsea, Langton et leurs alliés s'empareraient du trésor.
    — Je crois
que...
    Je
m'interrompis, écoutant avec distraction cliqueter les armes dans la cour.
    — ...
Chapeleys était au courant de l'existence du trésor et voulait monnayer cette
information, parmi d'autres, avec le roi. Langton a dû être furieux que
Chapeleys se soit échappé. Il est bien possible qu'il ait trempé dans son
assassinat.
    — Mais
comment ?
    — Je
l'ignore. D'une façon ou d'une autre, Langton a constaté que Chapeleys n'était
point parti vaquer à quelque commission mais qu'il l'avait abandonné. Il a
envoyé un message, Dieu seul sait comment et quand, mais il est vraisemblable
que c'était peu après notre départ de la Tour.
    — À qui ?
    — À
l'Empoisonneuse ou à d'autres personnes hostiles au souverain. Chapeleys a été
occis. L'assassin a voulu faire croire à un suicide, mais c'était parce