Le combat des Reines

parlai de Guido. Demontaigu pensait qu'on avait
voulu atteindre Gaveston. D'après lui, les grands barons étaient furieux de la
victoire du favori sur Alexandre de Lisbonne qui, constata Bertrand avec
regret, n'avait souffert que de quelques contusions et hématomes, le coup porté
à son orgueil étant le pire. Demontaigu confirma aussi ce qu'Isabelle m'avait
confié en secret. Les grands seigneurs rassemblés à Westminster
s'impatientaient. Ils avaient amené leurs escortes dans la ville et la dépense
quotidienne qu'impliquait l'entretien des troupes sous les armes s'avérait fort
lourde. La stratégie du roi et du favori commençait à se dessiner. Ils étaient
sans doute assiégés au manoir de Bourgogne, sous la seule protection du pouvoir
et du caractère sacré de la Couronne, mais leurs ennemis dilapidaient leurs
revenus dans ce coûteux exercice. Certains négociaient déjà de nouveaux prêts
avec les Bardi, les banquiers italiens de Lombard Street. Winchelsea puisait à
pleines mains dans les recettes de Cantorbéry tout en rappelant chaque jour au
monarque la transmission de l'église du Nouveau Temple.
    L'intérêt que
portait Winchelsea à une église du Temple intriguait fort Bertrand. Le mercredi
suivant le concilium , il m'invita à la célébration de la messe en privé
dans sa chambre fermée à clé. En dépit du lieu, de l'autel improvisé et des
vases en étain, ce fut, comme d'habitude, un événement béni et solennel que je
trouvais très mystérieux. Demontaigu citait souvent le serment de l'évêque
extrait du rituel d'ordination d'un prêtre : « Le Seigneur a prêté un
grand serment. Il ne s'en dédira pas. Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de
Melchisédech. »
    — Je dirai
toujours ma messe quotidienne, quel qu'en soit le prix ! affirma Bertrand.
    Je l'observai,
ce matin-là, récitant à voix basse les mots liturgiques sur l'hostie et le vin
du calice, les changeant en corps et sang du Christ ressuscité. Je ne pouvais
ignorer le fait que j'aimais cet homme, qui était aussi un religieux voué au
célibat. Je l'avais interrogé là-dessus, un peu plus tôt cette année-là, avant
que les nuages s'assemblent et que les dangers menacent.
    Il venait de me
taquiner au sujet de mes yeux audacieux et de ma tranquille assurance.
    — Comment,
avais-je rétorqué, battant des cils comme une délicate jouvencelle, comment
pouvez-vous être si attiré par la chair alors que vous avez fait vœu de
chasteté ?
    Il m'avait lancé
un coup d'œil plein de tristesse, avait cillé et détourné le regard avant de se
retourner pour me donner un baiser ardent sur le front.
    — J'ai juré
d'observer la chasteté, mais il ne m'est pas interdit de tomber amoureux.
    Il avait souri
et ajouté :
    — Il n'y a
pas de vœu, pas de serment, contre cela.
    Et ce matin-là,
je me remémorais ces paroles pendant qu'il achevait son office. Ensuite je
l'aidai à ranger les vases consacrés qu'il cachait dans un coffre cerclé de fer
et fermé à clé. J'aurais aimé débattre à nouveau de son statut de prêtre, mais
l'allusion de Marigny à ma mère commençait à me tourmenter. Qui plus est,
Bertrand s'inquiétait fort pour ses frères, et la détermination que mettait
Ausel à découvrir le Judas parmi eux le souciait.
    — Quatre de
nos compagnons ont trépassé après l'attaque perpétrée contre nous dans la
chapelle des Pendus.
    Il nota mon
étonnement.
    — Qu'ils
connaissent le repos éternel. L'un d'entre eux est mort tout d'un coup :
il avait le cœur faible. Les autres ont été blessés et les plaies se sont
infectées. C'est soit cela, soupira-t-il, soit, comme d'autres de nos frères,
qu'ils ont juste perdu l'envie de vivre. J'ai prié pour eux. D'autres prêtres
ont chanté le requiem. Et voilà que Winchelsea s'intéresse vivement à l'église
du Nouveau Temple.
    Il glissa les
clés du coffre dans son escarcelle, ouvrit une sacoche de cuir, en fouilla le
contenu et en sortit une carte de Londres dessinée avec soin qu'il déroula. Sa
tête touchant presque la mienne, il me montra l'emplacement du Nouveau Temple,
dont la façade donnait sur la Tamise. Il me décrivit le mur d'enceinte autour
de l'édifice, la grand-salle, le quartier des gardes, les écuries et autres
appentis. Je regardais, fascinée par ses explications : l'église, une
réplique du Temple de Jérusalem, était circulaire ; la nef rectangulaire
était un ajout ultérieur. En contemplant la carte je me souvins