Le commandant d'Auschwitz parle
fanatisme
religieux. Moi aussi, je voulais devenir soldat ; je tenais surtout à ne
pas « rater cette guerre ». Ma mère, mon tuteur, tous mes parents
tentaient naturellement de me détourner de cette idée ou tout au moins de
retarder l’exécution de mon projet jusqu’au moment où j’aurais passé mon
bachot. Ils me rappelaient aussi que j’étais destiné à devenir prêtre. Je les
laissais parler et je déployais toutes les ruses pour pouvoir partir pour le
front. À plusieurs reprises, je réussis à me cacher dans un transport de
troupes ; mais chaque fois on me découvrait, et me trouvant trop jeune pour
le service, on me renvoyait impitoyablement chez moi entre deux gendarmes.
Pourtant, je ne me laissais pas décourager ; le désir
de devenir soldat dominait tout le reste ; l’école, la future vocation, la
maison familiale, tout passait à l’arrière-plan. Ma mère faisait preuve d’une
bonté et d’une patience touchantes pour me ramener à la raison : rien n’y
faisait. Des parents lui avaient proposé de me faire entrer dans un séminaire
spécialisé dans la formation des missionnaires, mais elle se refusa à donner
son consentement. Elle savait que je continuais à pratiquer, mais que mes
convictions religieuses avaient faibli : la main autoritaire du père ne se
faisait plus sentir.
En guerre sur le front de la Palestine
Avec l’aide d’un capitaine dont j’avais fait la connaissance
à l’hôpital, je parvins enfin, au cours de 1916, à me faufiler dans les rangs d’un
régiment où mon père et mon grand-père avaient déjà pris du service. On me fit
suivre une courte période de préparation et l’on m’expédia en Turquie. Ma mère n’en
savait rien et je n’allais plus la revoir : la mort vint la frapper en
1917. J’avais toujours peur d’être découvert et renvoyé à la maison.
J’étais alors un gamin de quinze ans. Le voyage à travers de
nombreux pays, le séjour à Constantinople, ville qui avait encore gardé son
caractère oriental, la chevauchée jusqu’au front lointain, tout cela ne
manquait point de m’impressionner. Mais j’en ai à peine gardé le souvenir car
mes pensées étaient ailleurs.
Par contre, ma première rencontre avec l’ennemi est restée
profondément gravée dans ma mémoire. Peu de temps avant son arrivée au front,
notre unité fut affectée à une division turque : le détachement de
cavalerie auquel j’appartenais fut réparti entre trois régiments pour les
renforcer. Cette opération n’était pas encore achevée lorsque les Anglais, ou
plus exactement des Néo-Zélandais et des Hindous, nous attaquèrent et mirent
les Turcs en fuite. Notre petit groupe allemand devait défendre sa peau en
plein désert parmi les rochers et les ruines d’anciennes civilisations. Nos
munitions étaient très réduites, car le gros du détachement était resté à l’arrière
avec les chevaux. Nous nous trouvions, comme je m’en aperçus aussitôt, dans une
situation extrêmement dangereuse : le feu de l’artillerie ennemie était de
plus en plus nourri, mes camarades tombaient les uns après les autres. J’interpellai
mon voisin immédiat sans obtenir de réponse ; en me retournant je le vis
mourant, le crâne fracassé. Je fus saisi d’une peur atroce, telle que je n’en
ai jamais connu. Si j’avais été seul, j’aurais suivi l’exemple des Turcs et je
me serais enfui pour échapper au destin de ceux dont les corps jonchaient le
sol autour de moi. Dans mon désespoir, je vis soudain mon capitaine couché
derrière une grosse pierre et tirant avec la carabine de mon camarade tué :
il était calme comme sur un champ de tir. Ce sang-froid étrange se communiqua à
moi : je compris que je devais tirer, moi aussi. Jusqu’alors, je n’avais
pas tiré une seule fois, me contentant d’observer peureusement les Hindous qui
avançaient lentement vers nous. L’un d’entre eux se dressa soudain derrière un
tas de pierres. Je le vois encore : c’était un homme de haute taille,
large d’épaules, avec une barbe noire et pointue. J’hésitai un instant en
pensant à celui qui était tombé à mes côtés, puis je tirai et je vis, tout
tremblant, l’Hindou s’écrouler. Avais-je bien visé ? Mon premier mort !
J’avais franchi le cercle magique. Je continuai à tirer avec un peu plus d’assurance,
coup après coup, comme on me l’avait enseigné à la caserne. Je ne pensais plus
au danger, d’autant plus que mon
Weitere Kostenlose Bücher