Le commandant d'Auschwitz parle
leur parler et de
leur donner du sucre. Dès que je pouvais mettre la main sur une brosse, je
commençais à les étriller, en rampant entre leurs jambes, à la grande surprise
des paysans. Je ne craignais rien car aucune bête ne m’avait jamais bousculé ou
mordu ; j’entretenais même les meilleures relations avec un taureau réputé
pour sa méchanceté. Quant aux chiens, c’étaient mes plus fidèles amis. J’abandonnais
mes jouets préférés dès que l’occasion s’offrait d’entrer dans une écurie. Ma
mère faisait l’impossible pour me détourner de cet amour des bêtes qui lui
paraissait terriblement dangereux. Tous ses efforts allaient rester vains. Je
devenais de plus en plus solitaire ; je n’aimais pas être observé pendant
que je jouais. Irrésistiblement attiré par l’eau, je voulais toujours me
baigner ou laver mon linge ou d’autres objets, soit au bain public soit dans le
ruisseau qui traversait notre jardin : beaucoup de mes vêtements et de mes
jouets ont été abîmés de cette façon. Aujourd’hui encore, je me sens heureux
quand l’eau ruisselle entre mes mains.
J’entrais dans ma septième année lorsque nous nous
installâmes dans les environs de Mannheim. Une fois de plus, nous avions pris
logis en dehors de la ville, mais à mon grand chagrin il n’y avait ni écuries
ni animaux à proximité. Par la suite, ma mère m’a souvent raconté que l’éloignement
des bêtes de la forêt m’avait rendu malade pendant des semaines. Mes parents
faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour me détourner de cet
attachement insolite, mais toujours en vain ; faute de mieux, je
recherchais dans les livres des images de bêtes et je rêvais devant elles,
caché dans un coin. Pour mon septième anniversaire, on me fit cadeau de Hans,
un poney tout noir à la longue crinière et aux yeux flamboyants. J’étais fou de
joie : j’avais enfin un camarade. Apprivoisé, le poney me suivait comme un
chien et lorsque mes parents étaient absents, je le faisais même entrer dans ma
chambre, sans être trahi par les domestiques qui m’aimaient bien et ne
voulaient pas me faire gronder. Certes, j’avais maintenant un nombre suffisant
de camarades de mon âge ; je jouais avec eux et je participais à leurs
farces, mais je préférais me retirer avec mon poney dans la grande forêt du
Haardt où nous étions complètement seuls et où nous pouvions marcher pendant
des heures sans rencontrer âme qui vive.
Là-dessus, on me fit entrer à l’école primaire où je devais
m’initier au sérieux de la vie. Assidu aux études, je tâchais de faire mes
devoirs aussi vite que possible afin de disposer de tout mon temps pour mes
promenades avec Hans. Mes parents me laissaient faire…
Ma vocation semblait tracée d’avance car mon père avait fait
le vœu que j’entre en religion. Toute mon éducation était fondée sur la
réalisation de ce serment. Une atmosphère profondément religieuse régnait dans
ma famille. Mon père, qui m’élevait avec une discipline toute militaire, était
fanatiquement attaché à l’Église catholique. À Baden-Baden, je ne l’avais vu
que rarement car il était presque toujours en voyage ou occupé ailleurs. À
Mannheim, il en allait tout autrement : mon père disposait maintenant du
temps nécessaire pour s’occuper de moi, pour surveiller mes études et pour me
préparer à ma future vocation ecclésiastique. Mais ce que j’aimais surtout, c’était
écouter le récit de ses années de service en Afrique orientale, des combats
avec les indigènes révoltés, de leur sombre culte des idoles. Lorsqu’il
décrivait l’activité généreuse et civilisatrice des missionnaires, cela me
plongeait dans le ravissement. Je me voyais déjà missionnaire quelque part dans
le centre de l’Afrique, en pleine forêt vierge. Lorsque de vieux prêtres barbus
que mon père avait vu travailler en Afrique venaient nous rendre visite, je
restais collé à mon siège pour ne pas perdre un mot de la conversation et mon
poney lui-même se trouvait alors délaissé. Mes parents sortaient peu, mais
recevaient beaucoup, surtout des membres du clergé.
Avec les années, les sentiments religieux de mon père s’étaient
encore affirmés. Dès que ses occupations lui permettaient quelques loisirs, il
partait avec moi en pèlerinage : nous nous sommes rendus ainsi dans tous
les lieux saints d’Allemagne, à Einsiedeln en Suisse et à Lourdes en France.
Mon père
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