Le commandant d'Auschwitz parle
parlais à personne
mais la voie dans laquelle voulait m’engager mon père par son serment me
répugnait de plus en plus. Dans sa dernière lettre, écrite peu de temps avant
sa mort, ma mère me suppliait encore de ne jamais oublier ce à quoi mon père m’avait
prédestiné. Une lutte intérieure se livrait dans mon âme entre le respect dû à
mes parents et mon refus de cette vocation. En rentrant dans ma patrie, je n’avais
pas encore pris de décision définitive.
Mon tuteur et toute ma famille s’étaient concertés dès mon
retour pour me faire entrer sans tarder dans un séminaire où je trouverais l’ambiance
nécessaire pour me préparer à mon sacerdoce. Notre foyer n’existait plus, mes
sœurs étaient en pension dans des couvents. Je ressentais durement la perte de
ma mère, comme si je n’avais plus de patrie. Les « chers parents » s’étaient
partagé entre eux tous les objets qui auraient pu me rappeler la maison paternelle.
Ils étaient convaincus que nous n’aurions plus besoin de ces biens terrestres,
puisque je deviendrais missionnaire et que mes sœurs resteraient au couvent. Il
y avait juste assez d’argent pour payer la pension de mes sœurs et mon
admission dans un couvent de missionnaires.
Profondément affligé et irrité par cette attitude cavalière
de ma famille, je me rendis le jour même chez mon oncle et tuteur pour lui
déclarer sans détour que je n’avais pas l’intention d’entrer en religion. Pour
me forcer la main, il m’expliqua que l’argent manquerait pour me préparer à
toute autre profession que celle choisie par mon père. Je me décidai
sur-le-champ à renoncer à ma part d’héritage en faveur de mes sœurs et je fis
le jour même les déclarations nécessaires devant le notaire. Je restai
insensible aux démarches entreprises par ma parenté pour me détourner de mon
but : je voulais faire mon chemin tout seul. Furieux, je quittai les miens
sans prendre congé et, le lendemain, je partais pour la Prusse-Orientale m’engager
dans un corps franc formé à destination des pays baltes [23] .
Dans le corps franc de Rossbach
Le problème de ma vocation était donc résolu. J’étais
redevenu soldat ; j’avais retrouvé une patrie, un asile, auprès de mes
camarades. Chose étrange : moi, le solitaire, habitué à diriger ma vie
intérieure sans demander l’avis de personne, je me suis toujours senti attiré
par cette ambiance de camaraderie qui permet de s’épauler mutuellement en cas
de difficultés ou de dangers.
Les combats dans les pays baltes se distinguaient par un
caractère acharné et sauvage tel que je n’en ai connu ni pendant la Grande
Guerre ni même, par la suite, au cours des activités guerrières d’autres corps
francs. Il n’y avait pas de front dans le sens précis du mot : l’ennemi
était partout. Chaque engagement se transformait en massacre poursuivi jusqu’au
complet anéantissement. Les Lettons se distinguaient particulièrement sous ce
rapport. Pour la première fois, j’étais témoin des horreurs exercées sur la
population civile. Les Lettons se vengeaient cruellement de leurs propres
compatriotes qui avaient abrité ou ravitaillé des soldats allemands ou russes
blancs. Ils incendiaient les maisons et brûlaient vifs leurs habitants. Combien
de fois n’ai-je pas vu le spectacle affreux de ces chaumières brûlées et des
corps de femmes et d’enfants carbonisés ? J’étais moi-même comme pétrifié
par ce tableau effroyable lorsque je le vis pour la première fois. Il me
semblait alors que la folie destructrice des hommes avait atteint son paroxysme
et qu’on ne pouvait pas aller au-delà.
Par la suite, j’ai souvent assisté à des spectacles encore
plus épouvantables mais je vois toujours cette chaumière à moitié brûlée et la
famille carbonisée à l’orée d’une forêt sur les rives de la Dvina ; j’étais
encore, à cette époque, capable de prier et je ne m’en privais pas.
Les corps francs représentaient en Allemagne un phénomène
typique des années troubles entre 1918 et 1921. Les gouvernements successifs en
avaient besoin chaque fois qu’il se produisait quelque chose d’inquiétant aux
frontières ou à l’intérieur du pays et qu’il n’était pas loisible d’engager la
police, et par la suite la Reichswehr, soit à cause de l’insuffisance de leurs
forces soit pour des raisons politiques. Ces mêmes gouvernements étaient
toujours prêts à renier les corps
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