Le Conseil des Troubles
placé des pièces de gibier dont quatre sangliers en travers de leurs selles et sur des chevaux de bât, ce qui signifie qu'ils s'apprêtent à dresser un camp provisoire pour y manger. Nous allons les suivre, attendre qu'ils se relâchent lors du repas et attaquer : si le régiment de Penthièvre est à la hauteur de sa réputation, la victoire est imaginable.
— Nous ne vous décevrons point! répondit Fontenelle, assez ému.
D'un regard anxieux, Bamberg considéra Marion, craignant qu'elle ne fût trop épuisée pour endurer cet effort supplémentaire mais la baronne le rassura d'un sourire.
Une heure plus tard, les Anglais faisaient bombance, buvant et se goinfrant, les doigts et les lèvres graisseuses, le pas plus incertain, les voix fortes, les rires sans retenue et toute méfiance envolée : la forêt n'était-elle point presque entièrement sous le contrôle des coalisés ?
Bamberg avait choisi une solution classique pour une attaque de cavalerie sur des hommes démontés et assis qui auraient à peine le temps de se lever.
Déployant les trois cents cavaliers du régiment de Penthièvre en demi-cercle, il s'agissait de traverser le camp au galop en tuant tout ce qui bougeait.
Fontenelle faillit suggérer qu'on attaque de tous les côtés à la fois mais il distingua dans les yeux du général une lueur amusée, réfléchit de nouveau et comprit : en attaquant sur quatre côtés, on risquait de se blesser par balles les uns les autres alors qu'en demi-lune, la chose était impossible.
Prenant un instant la baronne à part, Bamberg lui dit :
— Bien entendu, vous resterez en arrière.
— Bien entendu non.
— Alors c'est que vous êtes fort méchante.
— Le pensez-vous vraiment?
— Bien entendu non.
Quelques minutes plus tard, le général-duc de Bamberg sortit son sabre de son fourreau puis le pointa vers le ciel noir, sans étoiles. Dès qu'il l'abaissa, enfonçant du même coup ses talons dans les flancs d'Hautain, les trois cents cavaliers du régiment de Penthièvre s'élancèrent en hurlant sur les Anglais stupéfaits.
La charge fut si violente que les Anglais se trouvèrent littéralement culbutés, deux tiers des leurs étant tués ou blessés au premier passage. Très vite, on tourna bride pour venir en terminer sachant que la partie serait plus rude. En effet, la surprise ne jouait plus et les Anglais se précipitaient sur leurs armes.
Marion suivait Bamberg comme elle pouvait. Ainsi, elle abattit deux Anglais puis, fascinée, elle regarda combattre l'homme qu'elle aimait, le sabre dans une main, une hachette dans l'autre. Il semblait voir venir les coups avant qu'ils n'arrivent et frappait avec violence, le visage contracté par un rictus, si loin du gentilhomme prévenant qui trouvait des codes tels que « Magicien » et « Mélusine »... Mais c'était lui, même ainsi, donc ce ne pouvait être mal.
D'ailleurs, au combat, tous changeaient. Le raffiné colonel de Fontenelle se battait en injuriant l'ennemi en termes orduriers. Les cavaliers du régiment de Penthièvre, tous de bonne famille, ressemblaient à des barbares germains massacrant les légions de Varus. Mais le plus surprenant demeurait les animaux. Passe encore pour Scrub lequel, dès qu'un Anglais trébuchait — ce qui les plaçait à semblable hauteur —, l'attaquait en sa virilité, infirmant le vieux dicton arabe qui prétend depuis des siècles que « les Anglais sont des femmes ». Passe encore pour les chevaux lesquels, de l'épaule, bousculaient volontairement l'ennemi mais en ce chapitre, rien n'égalait Hautain. Peut-être Bamberg avait-il voulu la prévenir en lui disant à plusieurs reprises « C'est un cheval de guerre » mais ce qu'elle voyait...
Dès qu'il renversait un Anglais, Hautain le piétinait rageusement. Des sabots rouges de sang et gluants de cervelle. Et malheur à l'Anglais qui, voulant chercher mauvais parti à Bamberg, s'approchait sans méfiance d'Hautain car celui-ci le mordait de ses dents puissantes, arrachant alors joues, lèvres, nez et paupières pour ne laisser qu'un visage d'écorché, une pêche pelée qui levait le coeur...
Une vingtaine d'Anglais, encerclés, jetèrent leurs armes et tout fut dit.
Lord Melfox était assis sur une souche, se trouvant blessé au flanc et à la jambe. Il échangea un regard avec son vainqueur mais baissa vite les yeux. Bamberg, sans états d'âme, lui passa la corde au cou.
Refusant toute aide, le général-duc pendit lui-même le lord
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