Le Conseil des Troubles
anglais, la corde attachée à la selle d'Hautain qui avança de quelques pas. Il attendit la convulsion des jambes puis, dénouant le noeud, laissa le corps tomber sur le sol comme un vieux tas de linge.
Une mort sans gloire, à l'image de la vie du défunt.
On découvrit deux dragons prisonniers que Melfox s'apprêtait à mettre à mort et Bamberg eut grand plaisir à couper lui-même leurs liens.
Enfin, on rassembla les 27 prisonniers et les 56 blessés. Le discours de Bamberg, traduit par Fontenelle, fut bref :
— Il y a parmi vous des assassins qui ont brûlé vif et torturé mes soldats. Vous condamnant tous à mort à la condition qu'on me livre des noms, je pourrais savoir qui relève d'un implacable châtiment. Mais je répugne à voir un homme en dénoncer un autre...
Il les regarda longuement, tous baissèrent la tête. Bamberg reprit :
— Nous allons vous jeter à la rivière, sans liens. Vous jugerez ainsi de l'état où se trouvaient mes dragons lorsque vous les avez massacrés. Le courant mène aux lignes françaises. Vous serez alors faits prisonniers et traités sans rudesse car nous ne pratiquons pas ainsi que vous.
D'un coup de sabre rapide, il coupa un bouquet de ronces, allant et venant en la clairière sous les regards des Anglais qui reprenaient espoir.
Bamberg conclut :
— Vous n'aurez pas longtemps à nager, nos lignes sont proches. Pourtant, certains vont se noyer quand d'autres reverront le ciel d'Angleterre. Je sais que la chose est cruelle mais la guerre est cruelle, l'a toujours été et le sera éternellement. Si vous survivez, changez de métier car la mort ne patiente jamais deux fois derrière la porte.
On alla vite. À part une vingtaine, dont les blessures ne permettaient pas de nager, les autres furent précipités en l'eau glacée. Tous, après quelques mètres, s'accrochaient à la rive.
Sur un signe de Bamberg, on se remit en selle, faisant semblant de ne rien voir comme si le bain glacé suffisait à la punition.
54.
Augustin de Nestoc venait d'avoir des nouvelles, très indirectement, de sa « cible », le général-duc de Bamberg. Nouvelles un peu macabres, certes, mais nouvelles tout de même : des cavaliers venaient de ramener en les lignes de l'armée royale les cadavres de militaires des Opérations Spéciales.
— Il ramène même les corps de ses morts ! murmura le Feu Follet, désapprobateur, en secouant la tête.
Comment un homme aussi brillant que ce Bamberg pouvait-il en certains cas se montrer si stupide? Des corps, quel intérêt? Pour quel profit? Et qu'ils pourrissent ici ou là, quelle importance?
Ah, toujours ses vieilles idées, sans doute: l'honneur, la parole donnée, la fidélité, le devoir...
— Il mériterait d'en crever!
Mais au fond, comme il en convenait lui-même, cela ne le regardait pas. En cette affaire, une seule chose comptait : s'il faisait ramener les corps de ses soldats morts au combat, c'est que lui-même était encore en vie.
— En vie, mais pas pour toujours, hé hé!... ricana-t-il.
***
Dans une auberge située à une heure de cheval de l'armée royale, le général des Jésuites Giovanni Gazzi, marquis de Pontecorvo, se trouvait actuellement au lit avec la propriétaire de l'endroit.
S'il passait là quelques agréables moments, ce n'était rien en comparaison de sa maîtresse laquelle, à quarante-neuf ans — et en sa vie, presque autant d'amants -, venait de découvrir tout à la fois l'amour et le plaisir entre les bras d'un homme pourtant plus âgé qu'elle.
Émue aux larmes, se sentant fondre de bonheur, elle regarda son très habile, très attentionné et très tendre amant.
D'une voix de petite fille, et tout en passant un doigt léger sur les lèvres du marquis, elle murmura :
— Oh toi! Toi!... Toi!... Tu es le diable!
Le jésuite répondit d'un ton modeste :
— Oh non, je tiens boutique en face de la sienne, mais de l'autre côté de la rue.
L'image, assez fine, échappa sans doute à la femme qui répondit avec emportement :
— Je veux que tu me foutes encore, Belzébuth !
— Mon dieu! répondit-il en levant les yeux au ciel comme pour se faire pardonner par avance ce péché de chair des plus dodus.
Puis il fit preuve d'un dévouement chrétien en l'esprit, mais très latin en la manière...
***
Robert de Mortefontaine, le policier d'élite du roi, arpentait le camp d'un air préoccupé.
C'est qu'il s'inquiétait fort, et pour plusieurs raisons dont la première avait nom
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