Le Conseil des Troubles
nourriture et vêtements.
Il songea alors au Conseil des Troubles qui devait organiser le monde et brusquement, la grande oeuvre de sa vie lui sembla dérisoire.
Il tourna la tête en entendant un bruit de roues et de sabots puis sortit vivement du cimetière.
La voiture était loin, ainsi que l'or quelle transportait. Sur la route, les bras en croix et un couteau planté en plein coeur se trouvait le cadavre du général Hans von Schöner, comte Kesselring.
*
Hofflingen avait fait sa connaissance deux mois plus tôt.
Entre lui et cette femme de trente-huit ans au charme certain, il eût sans doute été exagéré de parler de passion ou d'invoquer l'amour. Cependant, le Prussien se montrait tendre et attentif, car ainsi était sa nature avec les femmes et Marie-Jeanne, puisque tel était le prénom de sa maîtresse, appréciait pareil traitement. En vérité, aucun de ses rares amants n'avait, jusqu'ici, manifesté autre chose qu'avidité, hâte, égoïsme puis indifférence une fois parvenu à ses fins.
Marie-Jeanne possédait une modeste chambre au second étage d'un petit immeuble du faubourg Saint-Marcel. Veuve sans enfant d'un scieur de long qui lui avait laissé un peu de biens, elle travaillait sur un bateau-lavoir amarré à proximité du pont-Neuf.
Lorsque Hofflingen, en pleine nuit, vint frapper à la porte, glacé, livide et blessé, elle lui ouvrit sans poser de questions. Puis, s'asseyant sur le lit, elle le regarda se soigner. Elle aimait ce corps mince et musclé couturé de cicatrices.
— Un coup de couteau ? demanda-t-elle.
— Non, poignard. Très propre, je le connais.
— Tes mystérieux ennemis ?
— Non, celui qui fut mon maître et par ce geste ne l'est plus.
— Alors te voilà libre ?
Il rit de bon coeur :
— La liberté est une idée pour philosophes et femmes savantes.
Elle aimait cela, chez lui, que blessé, trahi et abandonné, il puisse ainsi rire.
Il posa le linge mouillé avec lequel il nettoyait sa blessure et embrassa Marie-Jeanne sur les paupières :
— Ne t'inquiète pas de moi, j'ai toujours survécu et je survivrai encore.
Il venait du peuple mais avait été officier et il en demeurait quelque chose, dans l'allure, qui impressionnait la jeune femme.
« Je ne dois pas le laisser repartir dans son pays, jamais je ne retrouverai un tel homme! », songea-t-elle.
— Je ne vais pas t'embarrasser longtemps de ma présence, je connais la route de Berlin.
— Reste aussi longtemps que tu veux.
Il semblait s'amuser :
— Les invités, c'est comme les poissons morts, au bout de deux jours, ils puent!
Elle sentit qu'elle ne retiendrait pas le Berlinois et se prépara à vivre toute sa vie en une nuit...
***
La température chutait de façon alarmante mais il ne neigeait pas. On voyait parfaitement les étoiles.
Pour avoir plus chaud, Marion et Bamberg se trouvaient tous deux sur Hautain, la jeune femme en position inhabituelle, les deux jambes du même côté.
Blottie contre la poitrine du duc, elle était heureuse car ce froid exceptionnel les obligeait à se serrer très fort.
— Je n'aurais pas dû refuser la voiture de Mortefontaine !... dit-il.
— N'est-ce pas beaucoup mieux ainsi ? répondit-elle.
Attendri, il l'embrassa sur les cheveux.
Hautain allait d'un trot d'autant plus rapide qu'il connaissait la route d'Auteuil.
Un cheval bai brun était attaché devant la petite maison bien éclairée et on devinait, aux lueurs, que la cheminée du bas comme celle du haut fonctionnaient.
Mortefontaine avait fait preuve d'une grande prévenance en faisant « préparer » ainsi la maison tant il est vrai qu'il est toujours désagréable d'arriver en un logis glacé.
Le policier qui se trouvait à l'intérieur, un homme d'un certain âge, frissonna lorsque le froid pénétra en la pièce sur les pas de Bamberg et de la baronne. S'en étant aperçu, et bien que cette perspective ne l'enchantât guère, le général proposa :
— Voulez-vous dormir ici, devant la cheminée ?
L'autre n'hésita même pas :
— Mille merci, monsieur le duc, mais je préfère mon lit et la chaleur de ma femme.
— Je ne peux vous en blâmer... répondit Bamberg en un demi-sourire.
Puis, dès que l'homme fut parti, il s'activa pour combattre le froid sous le regard curieux de Marion.
Tout d'abord, après avoir monté du bois d'avance, il emplit de braises une petite chaufferette qu'il plaça d'autorité sous les pieds glacés de Marion.
Ensuite, il remonta pour passer
Weitere Kostenlose Bücher