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Le Conseil des Troubles

Le Conseil des Troubles

Titel: Le Conseil des Troubles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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J'aurais aimé faire la guerre comme vous. Au reste, j'aurais souhaité attendre mais vous méritez de savoir cela avant les autres : je quitte l'armée.
    — Quoi?
    — Je ne peux plus. Je n'ai pas même l'excuse de la peur, c'est tout autre chose : une lassitude, un immense dégoût...
    Il sentit sous la table la main de Marion sur sa cuisse.
    Lagès-Montry n'en revenait pas :
    — Mais le roi vous aime, l'armée vous vénère, vous pourriez être maréchal dans quelques années, vous n'avez jamais été battu, vous avez su dresser votre cheval à faire d'une traite douze lieues au galop et cent autres choses qu'on ne peut imiter.
    — Je ne peux plus. Pour les Prussiens, vous aviez raison puisque j'ai tout juste eu le temps de sauver Marion mais... Je ne pouvais pas donner cet ordre.
    — Ce me fut difficile. Je sentais que mes hommes étaient contre, les Prussiens semblaient des enfants avec leurs cheveux blonds ébouriffés mais j'ai deviné qu'ils ne se rendraient jamais.
    Les deux généraux avaient baissé la voix, comme pour une conversation privée.
    — Mais le dégoût, vous connaissez, tout de même?
    Lagès-Montry, qui faisait rouler une cerise confite sur la nappe blanche, suspendit son geste :
    — Oui. Depuis peu. Nous vieillissons. Il faut être jeune pour tuer sans se poser de questions.
    Bamberg se leva, son excessive pudeur s'accommodant mal des épanchements :
    — La journée fut rude, surtout pour la baronne.
    Se trouvant face à Lagès-Montry, il sourit :
    — Nous sommes si proches et vous me vouliez tuer, mousquetaire !
    — Une bouffée de jeunesse, mais je ne me le serais jamais pardonné, dragon!

70.
    Au coeur de la nuit de plus en plus glacée, le comte Von Ploetzen attendait une voiture à six chevaux. Il se trouvait en compagnie d'un homme d'une quarantaine d'années, le général Hans von Schöner, comte Kesselring, celui-là même qui l'attendait à la sortie du passage secret et depuis, ne le quittait pas.
    Marchant sur la route en se battant les flancs pour se réchauffer, les deux Français qui menaient la voiture venaient, eux, de la truanderie.
    On était sorti de Paris par Vincennes et on se trouvait à Torcy, où l'on retrouverait le guide et la nouvelle voiture venus de Berlin.
    Il s'agissait d'un très modeste village, inconnu de la plupart des Parisiens, mais le Grand Maître avait une raison particulière pour attendre en ces lieux : dans le très ancien cimetière se trouvaient quelques lépreux qui y traînaient leurs pauvres corps pourris. Le seigneur du lieu, moyennant compensation, avait accepté de les laisser mourir en paix là, ce qui faisait l'agrément des autorités royales et religieuses de l'endroit. Par une convention pas toujours respectée, on jetait par-dessus le mur du cimetière de la viande avariée et des fruits gâtés. En échange, les lépreux acceptaient de ne jamais sortir. Ils n'étaient que cinq : deux vieillards, un couple et leur enfant de dix ans mais tous déjà si atteints par le mal qu'ils ne pouvaient plus se montrer sans susciter la terreur.

    En cette nuit extrêmement froide, sous la lueur blafarde de la lune, Von Ploetzen avait poussé la porte grinçante du cimetière. Il se trouvait en grande tenue de teutonique, blanche frappée de la croix noire et portant le heaume de Grand Maître, car c'est ainsi qu'il s'en voulait retourner en Prusse.
    Les tombes étaient mal entretenues, des croix brisées ou inclinées. Un profond silence régnait. Puis, près d'une tombe ancienne surmontée d'une petite chapelle à demi en ruine, il sembla au comte avoir vu remuer. Ainsi lui avait-on rapporté que les lépreux vivaient à l'intérieur des tombes, près des crânes et des ossements.
    De pauvres silhouettes, craintives et courbées, apparurent bientôt pour s'immobiliser devant cette incroyable vision d'un chevalier des temps jadis en sa tenue immaculée.
    Von Ploetzen ôta son heaume :
    — La lèpre me dévore, moi aussi.
    Les traits disparus du chevalier accréditant ses dires, on s'approcha.
    Von Ploetzen fut pris d'une immense pitié, surtout envers la femme et l'enfant. La femme aux traits effacés qui l'attendrit grandement en arrangeant ses cheveux alors qu'il n'en demeurait que quelques touffes.
    Il douta de Dieu en se demandant : « Pourquoi eux? Pourquoi eux plutôt que d'autres ? »
    Il sortit une grosse bourse et répandit les pièces d'or en disant :
    — Lèpre ou pas, contre de l'or, il s'en trouvera bien pour vous fournir

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