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Le Conseil des Troubles

Le Conseil des Troubles

Titel: Le Conseil des Troubles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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pour le plus vieux des soudards qui partit à rire comme un cheval hennissant, sous le sombre regard de Toinou.
    Les yeux mouillés de larmes, le vieux soudard répéta :
    — Les chèvres! Il te prend pour une chèvre!... Ah ça, madame, c'en est assez car je crois que je vais mourir de rire si je demeure un instant de plus en votre très étrange demeure!
    Il désigna la sortie à son acolyte mais, au dernier instant, Bamberg retourna le jeune homme affolé et pointant un doigt résolu sur cette maigre poitrine :
    — Toi... Toi... Toinou!
    Le visage du « blessé » s'éclaira :
    — Comprends-tu ?... Il ne disait point « toi » mais « Toinou » et Toinou n'est pas un nom de chèvre.
    L'autre, déjà sorti, répondit fielleusement :
    — Oh, mais la chose se discute!... J'ai connu autrefois en terre de Sologne une chèvre qu'on appelait « Toinette ».
    Leurs voix se perdirent dans un brouillard d'une exceptionnelle densité.
    S'étant essuyé le menton d'un revers de l'avant-bras, et cessant de loucher, le duc de Bamberg leva un regard curieux sur Marion qui remarqua :
    — Vous devriez faire du théâtre. Certains, en ce rôle difficile, ne vous auraient pas égalé.
    Louchant de nouveau, plaçant sa langue pendante hors la bouche sur le côté gauche et agitant les mains comme certains petits vieillards, le général-duc de Bamberg répondit :
    — Me... Me... Merci!
    Et retrouva sa physionomie.
    Au loin, un chien aboyait dans un paysage ouaté, comme on le croise en certains rêves lorsque la fièvre vous tient.
    Ils échangèrent un long regard de complicité.

29.
    Tapi au fond de son carrosse au rideau demi-tiré de sorte qu'il possédait une excellente vue sur la petite entrée du théâtre, Charles de Lagès-Montry, mousquetaire et maréchal de camp de la Maison du roi, se trouvait en état de grande fébrilité.
    Enfin, la chance lui souriait et cette bonne fortune, il n'entendait point la laisser passer sans la saisir au collet.
    Ceux qui l'informaient de tout ce qui se passait au théâtre où Marion de Neuville, chaque soir, coiffait, maquillait et parfois habillait les actrices avaient bien mérité leur or. En effet, ils venaient de le prévenir qu'en raison du temps, la direction du théâtre venait d'annuler la représentation de ce soir. Or, il était assez improbable qu'on se donnât la peine d'envoyer quelqu'un avertir la jeune femme et d'autre part, ayant pu juger du sérieux de Marion de Neuville, le général des mousquetaires ne doutait pas un instant qu'elle se ferait un devoir d'être tout de même présente ce soir. Et trouverait portes closes.
    Dès lors, il aurait beau jeu de lui proposer de la ramener en carrosse pour sa sécurité car en cas de choc à un carrefour, pareil abri offre davantage de protection que n'en peut espérer un simple cavalier. Déjà, on signalait de nombreux accidents, et des morts.
    Vers les six heures du soir, il était tombé sur la ville un brouillard si intense et épais qu'on ne distinguait que par un vague halo les lanternes allumées.
    À leur poste, les cochers ne voyaient pas même la tête de leurs chevaux. Dans les rues, certains allaient avec des flambeaux, des bougies ou des chandelles, tant pour voir que pour être vu et il se disait que ce brouillard stagnant venait d'Allemagne où il avait causé de grands dommages.
    Un très court instant, l'officier supérieur oublia Marion, soucieux des affaires du royaume et surtout de sa propre tranquillité.
    Ah, il n'aimait pas tout cela. Ces hivers glacés, ces printemps humides et froids et par là-dessus, pour ne rien arranger, pourquoi pas un été infernal sans une goutte de pluie, feuilles des arbres desséchées tombant en un triste ballet dès juin, moissons grillées?... Ou alors de la pluie, toujours de la pluie qui pourrissait tout. Et au bout du compte, des émeutes de la faim, des troubles en chaque province du royaume des lys, l'obligation de sabrer tous ces malheureux affamés sans être à l'abri d'un coup de faux ou d'un lancer de poignard.
    Il tenta de chasser cette pensée mais le regard inquiet qu'il jeta sur la ville indiquait cependant qu'il ne se trouvait point rassuré.
    Décidément, il n'était de sécurité qu'à Versailles et il éprouvait une grande détestation de Paris, son demi-million d'habitants et ses soixante-quatorze culs-de-sac qu'il ne connaissait pas tous : acculé en pareil endroit, même avec cinquante mousquetaires, on avait toutes les chances de se faire

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