Le Conseil des Troubles
nouveau venait de lui arriver de Berlin. Quant aux trois Français tués, il les avait aussitôt remplacés, sa liste d'attente comportant davantage de noms que nécessaire. Si bien qu'à présent, sa troupe se montait à vingt-cinq hommes, dont dix Prussiens de noble famille et tous militaires. À ces vingt-cinq, on pouvait ajouter Hofflingen et lui-même : conserver un effectif constant paraissait au Grand Maître des Teutoniques une sage mesure.
Le soir n'allait pas tarder à tomber et il avait déjà parcouru une bonne partie de la distance le séparant du Maine. Au reste, après la première expérience menée avec les débris de l'ordre de feu Pomarès, il connaissait parfaitement la route menant au château et au village de Montigny, fief des ducs de Bamberg.
En outre, il avait divisé sa troupe en plusieurs groupes afin de ne pas attirer l'attention si bien qu'à ses yeux, les conditions semblaient réunies pour réaliser ce qu'il envisageait.
L'aristocrate prussien, qui chevauchait aux côtés d'Hof flingen, affichait un réel optimisme qui se traduisait par une bonne humeur inhabituelle chez lui, d'autant qu'il n'attendait à Montigny aucune opposition sérieuse.
Ce soir, il savait déjà qu'il dormirait en l'Auberge du Pont rouge où le précédaient quatre de ses hommes tandis que quatre autres, demeurés en le village d'Auteuil pour y chercher trace de Bamberg si mystérieusement disparu, les rejoindraient pendant la nuit. Ainsi se trouveraient accomplis les deux tiers du chemin, ce qui permettait d'espérer qu'on toucherait Montigny le lendemain en fin de matinée sans avoir à se hâter. Les cavaliers et les chevaux seraient alors en bon état de fraîcheur pour accomplir leur tâche.
Le Grand Maître des Teutoniques était heureux d'aller à cheval comme autrefois, quand la maladie ne l'avait pas encore amoindri. Certes, sa voiture suivait à moins de dix minutes en cas de défaillance mais il pensait ne pas en avoir besoin.
Ses yeux bleus injectés de sang à peine protégés par un léger voile de gaze s'attardèrent un instant sur le ciel clair et la neige durcie par le gel. Ce temps ne lui faisait pas peur car on le rencontrait souvent en Prusse. Il songea aux vastes forêts de son pays, aux nombreux lacs, à la terre noire, et en conclut qu'un paysage d'une telle âpreté ne pouvait produire que des hommes durs, des hommes d'acier, quand en France, ce paradis, on a tôt fait de s'amollir au contact de mille douceurs.
Il se tourna à demi vers Hofflingen :
— Dieu s'est montré trop généreux avec les Français, il le leur fera payer un jour. Pourris de tant de bienfaits, ne sachant plus juger de rien, ces misérables en viendront à dénigrer et haïr leur beau pays.
Un peu étonné, et pris de court au milieu d'une rêverie, Hofflingen serra les rênes de son cheval et répondit :
— Certainement, Votre Seigneurie.
Von Ploetzen, qui n'attendait pas vraiment de réponse, poursuivit :
— Seuls la dureté, la discipline, l'ordre et un manque absolu de pitié dans l'accomplissement du devoir permettent de réunir les conditions qui mènent à la victoire finale.
— Parfaitement, Votre Seigneurie.
— Et nous, nous ne reculerons devant aucun sacrifice !
« Surtout ceux des autres », songea Hofflingen qui répondit avec un air de profonde conviction et de sincère enthousiasme :
— Absolument, Votre Seigneurie.
*
Les deux soudards pénétrèrent chez Marion de Neuville sans prendre la peine de frapper mais, presque aussitôt, l'un d'eux poussa un cri affreux, se trouvant mordu en ce qu'il considérait comme les parties les plus précieuses de son anatomie.
Bamberg claqua des doigts et aussitôt, Scrub vint s'asseoir près de son maître si bien que l'autre soudard, plus âgé, qui avait déjà à demi tiré son pistolet, renonça à en faire usage, se contentant de grommeler :
— En voilà des façons !
Le regard étincelant de colère, Marion lui lança :
— Des façons? Mais qui parle ainsi, chez moi, sans s'être présenté ni annoncé ? Moi je ne vous crains pas, étant baronne de Neuville dont la devise est : « Ne point reculer ».
Le plus âgé des soudards réfléchit un instant puis, d'une voix plus accommodante :
— Nous cherchons un assassin...
— Celui qui est tombé de cheval? demanda hypocritement Marion.
— Il est tombé de cheval ?
— Devant ma fenêtre. Et, ayant en effet tué des hommes portant habits semblables aux vôtres, il s'est sauvé
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