Le Conseil des Troubles
guerre, on tue des dizaines de milliers d'hommes, on brûle des villes mais il ne faut point froisser tel ou tel royal ennemi qui est parfois un cousin. Ah, comme tout cela manque de sérieux dans l'organisation du pouvoir !
Inquiet de ces paroles séditieuses, qu'il ne désavouait pas intérieurement, Mortefontaine regarda autour de lui puis, baissant la voix :
— Ce que nous pensons, vous et moi, n'a hélas guère d'importance. Nous devons certes frapper, mais avec discernement. Bamberg nous est bien utile, il suffira de le suivre pour tomber sur ses ennemis... qui sont aussi les nôtres !
L'Italien saisit son verre et, le portant à hauteur des yeux, regarda la salle dans la transparence rosée :
— Vous ne vous inquiétez point des autres raisons qui font que le Conseil des Troubles veut tuer Bamberg ?
Mortefontaine lui jeta un regard rusé :
— Les ducs de Bamberg ont toujours été soupçonnés de savoir où se trouve le trésor des Templiers, je sais. Première raison, mais c'est un prétexte. Vous l'avez dit : son origine, ses pouvoirs, c'est pour eux insupportable. Le trésor ne pèse rien à côté de cela pour un Von Ploetzen.
Pontecorvo sourit :
— Ah, ce trésor, ce n'est sans doute pas la seule raison mais c'en est une bonne pour un homme... normal.
— Mais après tout, si l'on y songe bien, ce trésor est à lui, aux Bamberg...
— Je vous demande pardon : vous n'ignorez sans doute pas que ce trésor revient à l'Église ? Les Templiers servaient Dieu et les hauts dignitaires templiers finissant dans les flammes du bûcher, il serait conforme à la volonté divine que ce fabuleux trésor revienne aux serviteurs légitimes et actuels de Dieu, et donc du pape.
— C'est un point de vue...
Le général des Jésuites se recula sur son siège, le torse très droit, et regarda les poutres du plafond d'un air songeur :
— Les croisés ont pillé et volé tout ce qui, en Orient, représentait quelque valeur. Et tout fut converti en pierres précieuses, principalement des diamants. C'est très certainement le plus grand trésor existant au monde. Qu'en ferait un homme seul ?
— Tandis qu'avec lui le roi pourrait payer ses guerres pendant des siècles et votre pape ne s'inquiéterait pas des rigueurs de l'hiver.
Pontecorvo se pencha vivement en avant et, d'une voix anxieuse :
— Votre roi sait-il quelque chose ?
— Non, rassurez-vous. Mais Bamberg, lui, le sait-il ?
— S'il est un homme au monde, un seul, qui connaît ce secret, c'est lui. Il ne doit en aucun cas mourir. Certes, son origine est si stupéfiante qu'il n'est point aisé à tuer mais enfin, il est mortel.
— Voulez-vous que je le protège ?
Pontecorvo secoua la tête, hésitant :
— Il faut être habile sinon, il s'en rendrait compte. Le meilleur de mes hommes le suit à distance, que celui des vôtres qui se trouve le plus fin en fasse autant.
Mortefontaine regarda son interlocuteur dans les yeux :
— À servir un roi en ses affaires les plus secrètes, rapidement on en vient à le mieux connaître que ses proches les plus intimes.
— Et alors?
— Le roi devient... Je ne dirais point lâche, mais plus peureux.
— Il vieillit.
— Certes, mais contrairement à votre pape, il a fait ses preuves sur les champs de bataille... qu'il en vient à craindre.
Pontecorvo demanda alors d'une voix méfiante :
— Pourquoi me dites-vous cela ?
— Il reporte sur le duc de Bamberg tout ce qu'il n'est plus et n'a probablement jamais été.
— Cela me concerne ?
— Je le pense. Il ne le sait pas encore, même s'il le découvre bientôt, mais Bamberg, un Bamberg vivant, c'est pour Louis le Quatorzième signe que lui-même va bien.
— Ah, cette fois, je crois vous voir venir...
— Vous le croyez ? questionna Mortefontaine, amusé.
— C'est une superstition. Une royale superstition.
Mortefontaine ne cacha pas son contentement :
— Cela m'est toujours un grand plaisir de m'entretenir avec vous, l'intelligence se fait rare... Bientôt, Bamberg sera protégé par le roi, sans que cela fût officiel car on ne protège pas un héros. Et ce protecteur, ce sera moi.
— Alors nous serons deux, et à chacun ses raisons.
Mortefontaine s'assombrit:
— Nous ne serons pas trop de deux, vous verrez. Il n'est même pas certain que nous suffirons à la tâche. Absolument pas certain !
28.
Von Ploetzen s'estimait très chanceux de n'avoir perdu aucun de ses Prussiens en la rude affaire d'Auteuil.
Au contraire, un
Weitere Kostenlose Bücher