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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Blanche savait qu’elle
aimait la sténographie et détestait la dactylographie. L’incessant cliquetis
des touches l’énervait, lui donnant l’impression de vivre à l’intérieur des
engrenages d’une montre. Elle se classa première pour l’orthographe, discutant
même avec son professeur de certains points de grammaire ayant trait à l’accord
des participes. Son professeur dut concéder qu’elle avait raison. En revanche,
elle était bonne dernière pour la rapidité d’exécution. Son professeur la
talonnait, lui disant que, même excellente en français écrit, en dictée et en
sténographie, elle ne se trouverait jamais d’emploi si elle ne parvenait pas à
augmenter sa vitesse. Blanche s’acharna donc à travailler le clavigraphe,
détestant chaque minute de cet apprentissage. Elle réussit néanmoins à obtenir
une vitesse moyenne, mais détesta toujours changer les rubans, qui lui
tachaient les mains, et ajuster les carbones, qui salissaient jusqu’à ses
vêtements.
    Blanche mit en doute sérieusement son aptitude
au secrétariat le jour où commencèrent les cours d’anglais. Elle haït les sons de cette langue, incapable de prononcer un
« th » et le remplaçant par un «  z  »,
comme le faisait une de ses consœurs européennes. Elle était aussi inhabile à
prononcer un «  h  » comme dans
« house ». Elle disait donc « ze ouse » et perdit tous ses
points.
    Ce qui la désillusionna complètement fut la
simulation de situations dans lesquelles une secrétaire, elle, avait à
travailler avec toutes sortes de patrons, joués par son professeur. Elle savait
que, malgré le comique de ces cours, ils étaient la reproduction parfaite du
milieu de travail. Elle fondit devant un patron toujours ivre ; bafouilla
devant le patron trop entreprenant ; demeura muette devant le patron anglophone ;
perdit sa contenance devant le patron trop gentil et se ferma comme une huître
devant le patron trop autoritaire. L’idée de faire subir cet examen était de
son professeur qui, encore une fois, prit Blanche à part.
    – Tu me laisses pas grand choix, Blanche.
On n’a jamais eu une candidate aussi prometteuse que toi. Mais on dirait que tu
veux toujours faire à ta tête. Quand on est secrétaire, la tête c’est quelque
chose qu’on doit pomponner pis faire taire.
    Voyant Blanche se rebiffer, elle enchaîna
rapidement :
    – Je sais que ça a pas l’air réjouissant,
ce que je viens de dire. C’est même presque choquant, surtout quand on sait
qu’à part les professionnels presque tous les patrons sont moins instruits que
toi. Mais j’espère que tu as pensé que c’est pour un professionnel que tu vas
travailler. Un médecin ou un avocat.
    Blanche sut que le moment de tirer sa
révérence était arrivé. Assommée par un hiver qui lui pesait lourd depuis trois
mois, ennuyée à l’idée de ne pas avoir passé les fêtes avec sa mère, toujours
aussi amère chaque fois qu’elle marchait devant la faculté de médecine, rue
Saint-Denis, lasse de son quotidien sans relief, elle décida à cet instant
précis de faire une croix sur son avenir de secrétaire.
    – Je crois pas que j’vas faire une bonne
secrétaire, madame. Peut-être que je prends la mauvaise décision mais je
viendrai plus au cours. Je vous suis quand même reconnaissante de tout ce que
j’ai appris ici mais j’ai envie d’autre chose.
    Elle alla à son bureau, sortit ses papiers et
ses crayons, fit une révérence de couventine et descendit l’escalier, la
poitrine gonflée de soulagement et de joie. Elle se trouva nez à nez avec le
jeune comédien, qui l’attendait toujours innocemment à chaque jour depuis le
début de ses cours, et accepta de prendre le dîner avec lui dans le Quartier latin.

31
     
    Blanche vit arriver le printemps avec
soulagement. Elle avait passé la grisaille de l’hiver à montrer à sa nièce les
rudiments de la lecture et de l’écriture. L’enseignement, manifestement, lui
manquait. Elle traîna donc sa nièce, aux premières chaleurs d’avril, à
Westmount. L’Institut pédagogique était situé en face d’un petit parc. Blanche
s’y arrêta, le temps de recoiffer Aline et de lui permettre de s’ébattre un peu
après un si long trajet.
    Blanche voyait Westmount pour la première fois
et fut renversée d’y apercevoir autant de richesse. Elle se promit d’y revenir
seule, pour marcher dans les rues et regarder les propriétés gigantesques.
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