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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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la maison très tôt, préférant ne
pas rencontrer sa sœur, qu’elle savait levée. Elle marcha jusqu’à la ru e De Lorimier, car elle avait encore deux heures à
tuer avant le début des cours. Et elle se promit de les tuer. Avec elles, elle
essaya de tuer son chagrin et son humiliation. Elle essaya aussi de tuer sa
trop grande ambition que les religieuses auraient sûrement appelée
« prétention ». Elle tenta de tuer les souvenirs de ses rêves de
médecine qu’elle avait sans cesse caressés depuis que sa mère, bien
innocemment, les lui avait mis en tête. Mais c’est en vain qu’elle essaya de
faire mourir sa certitude immuable de s’en sortir.
    Blanche arriva devant le Monument-National
près de quarante minutes avant l’heure de son premier cours. Elle demeura de
l’autre côté de la rue à en regarder la façade et aperçut des comédiens qui y
entraient, probablement pour une répétition. Ils riaient avec tellement de
désinvolture qu’elle les envia. Puis elle vit entrer des jeunes filles qui lui
ressemblaient, bien coiffées, portant chemisier, jupe, talons hauts et sac.
Quelques-unes, elle le remarqua, s’arrêtaient à une vingtaine de pas de leur
destination, ouvraient leur sac à main pour en sortir un miroir et un bât on de rouge. Elle n’avait pas apporté le sien.
D’autres comédiens entraient encore, facilement reconnaissables. Elle grimaça
en pensant que la vie faisait de tous des comédiens.
    Elle traversa la rue et vit son reflet dans
une vitrine. Quelle comédie la vie lui réservait-elle ? Elle ne put
s’empêcher de sourire de la perfection de son costume et pensa à ce rôle
qu’elle jouerait aussitôt assise dans sa classe. Elle se demanda à quoi
ressemblerait ce local et c’est en ayant cette pensée distrayante en tête
qu’elle entra presque sans effort à l’intérieur du bât iment.
    Elle se tut pendant tout le cours. Assise à
l’arrière, furieuse d’avoir tiré un fil dans sa jupe sur une aspérité de son
bureau, elle écouta ânonner son professeur. Elle retint péniblement les
bâillements qui lui rappelaient sa nuit blanche, enragée à l’idée d’avoir
renoncé à des rêves peut-être agréables pour entendre parler de maintien, de
propreté, d’ongles taillés courts « à cause des touches du
clavigraphe », de jupes repassées, de cheveux coiffés et de politesse.
Elle bâilla quand on lui demanda de mettre en ordre ses tiroirs et le dessus de
son bureau. Elle s’endormit presque quand on lui apprit comment entendre une
conversation à laquelle on ne devait pas participer et regarder sans voir une
chose qui ne devait pas être racontée. Elle s’amusa presque quand elle sut
qu’il lui fallait une lime, une paire de bas, une petite trousse de couture et
un sous-vêtement de rechange en cas d’accident. La plupart de ses consœurs prenaient
des notes. Elle se demanda si elle devait le faire puis décida que ce n’était
pas essentiel. Ce qui était dit ne lui était pas destiné. Chaque fois que le
professeur la regardait, elle s’efforçait de sourire. Elle vit le professeur
froncer les sourcils, sceptique. Elle décida donc de sortir son calepin de
notes, ayant vu dans les yeux qui la regardaient discrètement l’ombre d’une
évaluation de comportement. Elle griffonna sa liste d’épicerie, sa liste
d’achats de vêtements. Lasse, elle inscrivit les noms de toutes les personnes
auxquelles elle devait écrire. Feignant un grand intérêt pour ce qui se disait
en classe, elle fit un croquis des locaux, gentiment mis à la disposition des
jeunes Canadiennes françaises par la Société Saint-Jean-Baptiste.
    Sa première demi-journée passa rapidement.
Elle ferma enfin son calepin rempli de graffitis. Elle remercia poliment son
professeur en sortant. Cette dernière l’appela.
    – J’ai cru remarquer que vous manquiez de
sommeil. Une bonne secrétaire doit toujours être alerte. Elle doit être bien
reposée pour avoir un teint frais.
    – J’ai effectivement mal dormi, madame.
L’excitation de la rentrée…
    – Je comprends. Mais demain, il faudra
que vous soyez plus présente au cours. Nous commencerons la sténographie.
    – J’vas essayer. À demain, madame.
    À l’extérieur, elle respira profondément l’air
de la rue, qui lui parut tout à coup aussi léger que celui de Saint-Tite. Elle
s’arrêta quelques instants pour se réorienter et décida d’entrer dans le
théâtre. Elle s’assit au fond de la

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