Le cri de l'oie blanche
qu’elle avait découvert cet endroit, même la maison de Napoléon lui
semblait minuscule. Absorbée dans ses pensées, elle ne vit pas Aline grimper
sur le rebord du bassin de la fontaine et s’y précipiter la tête la première.
Elle entendit le « plouf » et se rua vers l’enfant, qui s’amusait
follement dans l’eau. Elle l’obligea à sortir en se demandant quelle idée avait
eue sa nièce.
– J’avais chaud !
– Quand même, c’est pas une raison pour
te mouiller. Regarde-toi ! Pis on nous attend à l’Institut.
Elle sonna à la porte et une religieuse
perplexe fit entrer cette visiteuse qui tirait fermement par la main une enfant
de trois ans trempée et pleurnichant.
Blanche s’inscrivit au cours supérieur,
décidée à se qualifier davantage. Elle retournerait à l’enseignement. Mais
quand elle vit les classes et rencontra quelques compagnes du couvent de
Saint-Tite, elle déchanta. L’atmosphère feutrée ressemblait tellement à celle
du couvent qu’elle eut le pénible sentiment de reculer d’une décennie.
Blanche revint avec Aline, séchée, froissée et
endormie sur ses genoux, passa encore devant l’hôpital Notre-Dame. Elle bondit
sur ses pieds – ce qui réveilla brusquement Aline –, sortit du tramway et entra
par la porte principale du bât iment.
On la dirigea vers un long corridor qui
tournait à droite, à gauche et encore à droite. Elle frappa à la deuxième porte
et on la pria d’entrer.
– Bonjour. On peut vous aider ?
Blanche reconnut une des religieuses qu’elle
avait souvent vues devant l’hôpital.
– Oui, ma sœur. Est-ce qu’il est encore
temps de m’inscrire pour le mois de septembre ?
– Pour faire quoi, au juste ?
– Excusez. Pour être garde-malade.
Le cœur lui débattait. Elle avait senti
l’éther et la maladie. Elle avait senti le courage. Elle était chez elle.
– Il n’est pas trop tard. Les examens
d’admission vont avoir lieu au mois de mai. Mais, vous savez, le nombre
d’étudiantes est très limité. Nous voulons la crème.
Blanche sourit. Elle aussi voulait la crème de
la vie, bien aromatisée et fouettée.
– Voulez-vous une formule
d’inscription ?
– Oui. Est-ce que vous avez un
crayon ?
– C’est pas nécessaire de la remplir ici.
Vous pouvez venir la porter un autre jour.
– J’vas la remplir tout de suite. Comme
ça, j’ai plus de chances de pas me retrouver la dernière inscrite. J’vas
apporter mes diplômes demain.
Blanche accepta le crayon qu’on lui offrait,
en demanda un second et une feuille de papier pour occuper Aline et répondit à
chaque question le plus sérieusement du monde. La main lui tremblait. À défaut
d’être médecin, elle pourrait être infirmière. Elle espéra, un bref instant,
que les médecins ne ressemblaient pas trop aux patrons qu’on lui avait décrits.
Elle balaya cette appréhension de son esprit et se reconcentra sur son
questionnaire.
– Marie-Ange !
– Mon Dieu ! Qu’est-ce qui se
passe ? C’est pas dans tes habitudes de crier comme ça. Est-ce qu’il est
arrivé quelque chose à Aline ?
– Oui. Elle s’est jetée dans le bassin
d’une fontaine. Mais je voulais te dire que j’ai fait application à
l’hôpital Notre-Dame.
– Comme secrétaire ?
– Non. Pour être étudiante
garde-malade !
Aline partit en courant rejoindre son père et
les deux sœurs se retrouvèrent seules dans la cuisine.
Marie-Ange regardait sa sœur, perplexe.
– Je comprends pas, Blanche. Tu nous as
raconté que tu avais perdu connaissance quand tu es entrée dans la chambre de
Clément à l’hôpital. Penses-tu vraiment que tu vas être capable d’être avec des
malades tout le temps ? Même de travailler dans les salles
d’opération ?
– Oui ! J’ai pas raconté que j’avais
soigné Clément. Pis j’ai pas raconté tout ce que j’ai fait pendant l’ouragan.
Et Blanche, radieuse devant sa sœur impressionnée,
raconta ce qu’elle avait fait pendant l’ouragan. Marie-Ange la suivit
finalement dans le sentier de la joie. Blanche tut cependant ses espoirs de
devenir médecin, ne voulant pas assombrir d’un nuage encore trop plein de pluie
cette journée de soleil.
– Peut-être que tu as raison, Blanche. En
tout cas, j’espère que tu vas être plus heureuse là qu’au Monument-National.
– C’est pas difficile.
Blanche passa une autre nuit sans sommeil.
Cette fois par contre, elle ne se contenta pas de
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