Le cri de l'oie blanche
miroir, des rôties croustillantes et de la marmelade
anglaise ?
Blanche le regarda et s’aperçut que ce médecin
n’était pas laid du tout. Elle jeta un coup d’œil discret à son annulaire
gauche et ne vit pas d’alliance.
– Où est-ce qu’on va nous servir ce menu
appétissant ?
– Au Ritz.
Blanche faillit s’étrangler. Elle n’avait plus
remis les pieds à l’hôtel depuis la mort de Marie-Louise. Elle hésita. Mais
prendre un petit déjeuner au Ritz… Y entrer sans son uniforme… Y être avec ce
médecin qui, en s’animant, devenait de plus en plus intéressant… Tout cela lui
plut.
– Alors, ce sera le Ritz.
Le médecin, qui s’appelait Pierre Beaudry, lui
fixa rendez-vous à huit heures.
Blanche mit une de ses plus jolies robes et se
coiffa d’un chapeau qu’elle pencha légèrement sur le côté. Elle se couvrit les
oreilles de bouclettes de cheveux. Elle pinça les lèvres après y avoir appliqué
du rouge.
Elle se retourna devant la glace pour vérifier
les plis à l’arrière de sa robe et, satisfaite, descendit en courant pour
prendre le premier tramway.
Pierre l’attendait. Elle retint un sourire de
plaisir à sa vue. Il était d’une élégance qu’elle n’avait jamais soupçonnée.
Les médecins étaient toujours tellement bien cachés sous leur sarrau. Pierre,
elle s’en rendit compte, la regardait différemment, lui aussi. Ils entrèrent
bras dessus, bras dessous et s’attablèrent.
– On peut se tutoyer ?
Blanche accepta immédiatement.
– Je viens de gagner assez d’argent, ce
matin, pour que notre repas soit entièrement payé.
Devant l’air interrogateur de Blanche, il
expliqua que, pendant son internat, il avait fait des paris avec ses collègues.
– On avait gagé que le premier qui
réussirait à t’avoir comme escorte, toi ou Marie-Louise, précisa-t-il sans
malaise, au plaisir de Blanche, serait le grand gagnant. J’ai gagné ce matin.
Blanche, désarçonnée par autant de candeur,
pouffa d’un rire qu’elle trouva insipide et naïf.
– C’est vrai que Marie-Louise était
belle. Je m’ennuie beaucoup d’elle.
– Sa mort a été un choc assez violent
pour tout le monde. Pour moi, en tout cas, ça a été très difficile parce que
c’était la première fois que je voyais mourir quelqu’un de mon âge.
– Tu étais là ? Dans la
chambre ?
– Oui. Je sais que tu dois pas t’en
rappeler parce que toi, tu essayais de lui sauver la vie. C’est moi qui ai
apporté la civière. Je t’ai même aidée à t’installer. Tu… tu m’as impressionné.
J’espère que tu m’excuseras pour mon attitude d’hier soir. Il me semble que
j’aurais dû savoir que tu me proposais une solution. Pourtant, même si la
fièvre a baissé, je suis pas convaincu que c’est grâce au traitement à l’alcool
et à l’eau froide.
– Moi, oui. Parce que c’est pas la
première fois que je le vois. Je pense quand même que c’est à faire en dernier
ressort.
– En tout cas… Moi, je dis que c’est la
quinine, toi, l’alcool, pis le chapelain va dire que c’est à cause des derniers
sacrements. On croit ce qu’on veut quand on peut pas expliquer quelque chose.
Ils parlèrent avec nervosité et hilarité
pendant tout le repas, accusant sans cesse la fatigue de provoquer leurs fous
rires incontrôlables.
– Faut que je sois au dispensaire à onze
heures, annonça Pierre.
– Comment ça ? Tu as travaillé toute
la nuit.
– Je devais pas travailler toute la nuit.
J’ai juste décidé de le faire.
Blanche hocha la tête. Ainsi, tous les deux,
ils avaient volontairement empiété sur leurs heures de sommeil.
– Moi, il faut que je sois à l’économat.
Je dois aller signer les derniers papiers, pis faire mes boîtes. J’ai remis ma
démission.
Pierre cassa son sourire.
– Tu laisses l’hôpital ?
– Non. Je quitte le personnel. J’ai
décidé de faire du service privé.
Pierre avala deux gorgées de café. Elle le vit
grimacer et se demanda pourquoi il ne lui avait jamais parlé avant cette nuit.
– En tout cas, je pense que c’est une décision
qui te regarde. Tu peux compter sur moi pour te trouver des clients. Je pense
que personne pourra avoir de meilleure garde-malade que toi.
Blanche le remercia en souriant, soulagée à la
pensée qu’elle n’aurait peut-être pas trop de difficultés à se trouver des
patients désireux d’avoir, à toute heure, une infirmière à leur
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