Le cri de l'oie blanche
patiente, endormie en rêvant à son poupon qu’elle
apporterait à la maison le lendemain.
Une infirmière entra dans la chambre et
Blanche grimaça devant son manque de discrétion. Elle détestait qu’on ouvre
bruyamment les portes.
– Pis ?
– La fièvre monte un peu chaque fois que
je la vérifie.
– On va la perdre !
– Si le médecin arrive pas, ça
m’étonnerait même pas.
– Pourquoi est-ce qu’on lui donne pas de
la quinine ?
– On n’a pas le droit. Faut attendre la
prescription du médecin.
Adélaïde s’agita dans son lit. « Le
délire commence », pensa Blanche. Elle pria l’infirmière d’appeler le
médecin de nouveau.
– Il est à l’urgence. L’ambulance vient
d’arriver avec des blessés.
– Ici aussi, on a une urgence !
Blanche prit de nouveau le pouls d’Adélaïde et
hocha la tête en réponse au regard interrogateur de sa compagne. L’infirmière
tremblait presque d’impuissance et de colère.
– Qu’est-ce qu’on fait ?
Blanche aurait voulu répliquer qu’elles ne
feraient rien. Mais, au lieu de cela, elle demanda à sa collègue si elle
accepterait de l’aider.
– J’vas prendre toute la responsabilité
s’il arrive quelque chose, mais je pense qu’on n’a pas une minute à perdre.
L’autre infirmière se mit presque au
garde-à-vous.
– Qu’est-ce que tu vas faire ?
– Va me chercher des bols d’eau froide.
Apporte toutes les serviettes que tu peux trouver. Pis de l’alcool à friction.
L’infirmière ne cilla pas et revint avec ce
que Blanche avait demandé. Blanche avait découvert Adélaïde et l’attendait.
– Tu sais, Blanche, qu’on peut perdre
notre licence ?
– Je sais. J’aime autant risquer de
perdre ma licence que de perdre une malade. Toujours pas de nouvelles du
docteur ?
– Non.
– Allons-y, d’abord.
Blanche refit, geste pour geste, ce que le
docteur Francœur avait fait. Pendant qu’elle essorait les serviettes, l’autre
infirmière frictionnait Adélaïde à l’alcool. Elles s’acharnaient depuis près
d’une heure, sous le regard curieux des autres infirmières qui entraient et
sortaient de la chambre, quand le médecin arriva.
– Qu’est-ce que vous faites ? Je
vous ai dit que c’était de la médecine de campagne. Barbare !
Il arracha la serviette des mains de Blanche
et couvrit la patiente jusqu’aux yeux. L’autre infirmière osa l’informer que la
fièvre avait baissé légèrement.
– C’est la quinine. J’ai fait appeler un
autre médecin à l’urgence. Maintenant, je reste ici. Vous deux, sortez. Demain,
à la première heure, je fais mon rapport.
Il était deux heures du matin quand Blanche,
assise au poste d’observation, aperçut le voyant lumineux.
– Le médecin nous appelle.
Elle se précipita dans la chambre, suivie de
sa collègue, et se figea devant les traits d’Adélaïde.
– Faites venir le chapelain, garde. La
fièvre est complètement hors de contrôle.
– Voulez-vous me permettre de recommencer
mes applications d’eau froide ?
Le médecin, aussi désespéré qu’elle, céda.
– Au point où elle en est… Je pense qu’on
peut tout essayer.
Blanche se remit à l’œuvre avec acharnement
pendant que le chapelain administrait les derniers sacrements. À quatre heures
du matin, Adélaïde était toujours vivante, la fièvre ayant reculé de quelques
degrés. Le médecin avait regardé Blanche et elle fut surprise de le voir
prendre une serviette et la tremper dans l’eau.
– On dirait que ça marche, garde.
– Je sais que ça marche. Mon frère a été
sauvé comme ça. Même que c’était en hiver et qu’on avait ouvert la fenêtre.
C’est pour remplacer ce froid-là que je prends de l’alcool.
À six heures du matin, Adélaïde ouvrit les
yeux et sourit à la vie, ignorant qu’elle avait failli la perdre. Le médecin
soupira, s’essuya le front et regarda Blanche en grimaçant. Ils continuèrent à
frictionner Adélaïde à l’alcool jusqu’à ce qu’elle les supplie d’arrêter.
– J’ai faim, garde.
Blanche et le médecin éclatèrent de rire et
lui promirent qu’elle aurait son plateau. Ils sortirent de la chambre, épuisés.
– Est-ce que je pourrais vous inviter à
prendre un bon café faible, des rôties froides et de la marmelade un peu
surette ?
– Ah ! ah ! Si je comprends
bien, on s’en va à la cantine.
– À moins que vous préfériez un vrai
café, des œufs au
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