Le cri de l'oie blanche
rapidement,
rêvant qu’elle était en train et que Montréal apparaissait dans toutes les fenêtres
du wagon.
Le froid était maintenant vaincu. Dans son
sommeil, elle repoussa toutes les couvertures, n’en conservant qu’une, celle
qu’elle utilisait douze mois par année pour ne pas se sentir trop seule. Elle
commença à transpirer. Maintenant elle rêvait qu’elle était sur son rocher, au
lac, et que Clovis riait en grillant un poisson au-dessus d’un feu qui dansait
sous les étoiles. Elle aussi riait. Puis, tout à coup, le feu prit des proportions
démesurées et elle commença à avoir peur qu’il n’embrase toute la forêt. Clovis
disparut dans la fumée et elle l’appela en vain. Elle ne pouvait plus
l’entendre tellement le feu crépitait, tellement le feu l’éblouissait.
Blanche s’éveilla en hurlant. Elle ouvrit les
yeux et les referma aussitôt. Son rêve la poursuivait. Le feu était devant sa
porte et le crépitement sous son plancher. Le cœur lui donna un coup terrible.
Elle s’éveilla complètement et regarda autour d’elle. Le feu ! Sa maison
brûlait !
– Oh ! Mon Dieu !
Elle s’enroula dans sa couverture et se
précipita vers sa porte. Elle l’ouvrit mais le feu frappait déjà aux portes
voisines après avoir grimpé chaque marche de l’escalier. Elle se tourna
rapidement et regarda sa fenêtre. Elle ne l’aperçut qu’une fraction de seconde.
Les flammes entraient maintenant dans sa chambre par le grillage du plancher.
Elle pensa à appeler au secours mais rejeta cette idée. Personne ne pourrait
l’entendre. Elle commença à tousser. Une toux noire de fumée. Elle savait que la fenêtre était la seule issue possible. Mais elle
ne savait plus où, exactement, était sa fenêtre. Elle commença à marteler les
murs, s’y appuyant pour se diriger. Elle pensa que tôt ou tard elle frapperait
la vitre. Elle s’accroupit, puis se laissa tomber sur le plancher. La fumée y
était moins dense et elle respira plus facilement entre ses quintes de toux.
Elle se heurta à son chiffonnier et sut qu’elle approchait de la fenêtre. Elle
se couvrit le visage pour empêcher les flammes de la lécher. Elle se leva rapidement,
prit son bol d’eau et se le versa sur la tête avant d’enrouler une pointe de couverture
autour de son poing et de briser la vitre qu’elle voyait enfin devant elle.
Elle plongea la tête la première, bascula dans l’espace, frappa la toiture de
la galerie et s’enfonça enfin dans la neige. Tout le temps que dura sa chute,
elle ne cessa de penser. Elle pensa à Jeanne qui, heureusement, était
absente ; elle pensa à sa mère qui lui avait tant de fois parlé du feu du
couvent de Saint-Tite. Maintenant elle se rappelait tous les détails de cet
incendie. Elle pensa à Clovis, qu’elle ne pourrait plus accueillir ; elle
pensa à son argent qui brûlait en ce moment ; elle pensa à son album de
photographies, dans lequel elle avait collé tous ses souvenirs d’enfance ;
elle pensa aux médicaments, qu’elle n’avait pu sauver ; elle pensa à sa
chienne Loulou, qu’elle entendit hurler puis se taire. Elle pensa enfin qu’elle
avait mal à la tête et à la cheville. Elle ouvrit les yeux et regarda la boule
de feu qui s’agitait devant elle. Elle voulut s’éloigner des crachats des
flammes mais en fut incapable. Elle se creusa une niche dans la neige, s’y
enfouit et, d’un battement de paupières pleines de larmes, éteignit son
cauchemar.
– Par ici ! Vite ! Garde
Pronovost est ici. Sans connaissance.
– Elle a réussi à sortir !
– En sautant par la fenêtre !
– Est-ce qu’elle a l’air blessée ?
Blanche ouvrit les yeux et aperçut les visages
penchés au-dessus du sien.
– Non. Je suis pas blessée. Je pense pas.
Elle grelottait. On la couvrit et Castor
s’approcha d’elle pour lui lécher la figure. Quelqu’un cria pour qu’on fasse
approcher une carriole et on la souleva pour l’y installer.
– La maison ?
– Plus rien. Rasée.
Elle tourna la tête et aperçut des cendres
fumantes sous les quelques planches qui ressemblaient encore au mur de la
façade. Elle éclata en sanglots et M me Mercier s’approcha d’elle
pour lui prendre la main.
– L’important, c’est que vous êtes en
vie.
Elle aurait voulu répondre que sa vie venait
de s’envoler en fumée. Elle aurait voulu dire qu’elle n’avait plus envie de se
battre contre le vent et le froid et la chaleur et la pluie
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