Le cri de l'oie blanche
suppliait silencieusement les gens d’essayer d’éviter
la maladie. Déjà, elle avait espéré ne plus avoir à sortir après la première
visite, Castor ayant attaqué le chien d’un colon, sans avertissement. Elle
avait eu beau crier à ces gens d’attacher leur chien, ils ne l’avaient pas
entendue et Castor, toujours retenu à son traîneau, la chienne derrière lui,
s’était rué sur la bête. Pour mettre fin au combat, Blanche s’était résignée à
entrer tout son poing dans la gueule de Castor pour l’étouffer. Castor l’avait
regardée en ayant l’air de ne pas comprendre mais il s’était éloigné. Blanche
avait donc dû soigner le colon et panser les plaies de son chien.
Jeanne lui avait préparé un repas avant de
partir pou r La Sarre. Elle l’avait littéralement
dévoré, comme si elle avait eu besoin de la nourriture pour continuer à vivre
dans cette froidure. À son grand soulagement, un seul patient osa affronter le
froid pour une visite en soirée. Elle avait commencé son examen en l’obligeant
à se réchauffer les pieds et à boire un café bouillant.
À dix heures, elle sortit pour vérifier la
mèche de son fanal extérieur et monta ensuite se coucher sans prendre la peine
de se laver. Elle était incapable d’appliquer une débarbouillette, même chaude,
sur sa chair de poule. Elle se couvrit de quatre couvertures et regretta
l’absence de Jeanne. Elle lui aurait proposé de dormir dans le même lit pour
qu’elles puissent se réchauffer. Elle se leva et alla chercher une couverture
supplémentaire dans la chambre des visiteurs. Toujours gelée, elle décida
d’enfiler un sous-vêtement d’homme, chaud et laineux. Elle mit aussi des bas et
résista à l’envie de se couvrir la tête d’une tuque. Elle se recoucha et
regarda l’heure. Il était près de minuit et elle n’avait pas encore réussi à
fermer l’œil.
Depuis que sa mère était repartie, ses pensées
ne cessaient de voyager en direction de Montréal. Elle n’avait pas eu de
nouvelles de Clovis et elle essayait, tous les soirs, de trouver une formule
qui le ferait revenir. Maintenant qu’elle savait les raisons qui l’avaient
poussée à refuser sa demande en mariage, elle ne cessait de se torturer. Elle
n’avait pas dit la vérité à Clovis et elle était de plus en plus convaincue
qu’il devait se demander où il avait failli. Jeanne préparait son mariage et
elle l’enviait.
Elle se tourna dans son lit et revécut ses
trois demandes en mariage. Celle de Napoléon, celle de Pierre et celle de
Clovis. Clovis était le seul qui lui avait demandé son avis. Napoléon et
Pierre, tous les deux, avaient supposé qu’elle accepterait. Elle prit la
couverture du dessus pour essuyer une larme qui lui coulait le long du nez.
Elle sortit le mouchoir qu’elle gardait en permanence sous son oreiller. Tous
les soirs, elle l’utilisait. Elle se tourna sur le ventre, les mains sous ses
cuisses, la tête sur le côté pour essayer de libérer au moins une de ses
narines du chagrin qui accompagnait tous ses rêves. Elle se demanda si elle ne
devrait pas aller à Montréal voir Clovis et lui dire qu’elle s’était trompée.
Lui raconter la vérité sur son enfance d’orpheline. Lui avouer qu’elle avait
envie de revenir à Montréal, à condition qu’il y soit avec elle, et qu’elle
voulait avoir des enfants qui rouleraient leurs r sans gêne. Qui parleraient ce français teinté d’un
vague accent anglais. C’ est ce qu’elle devait
faire.
Elle se releva encore une fois et marcha
jusqu’à la lingerie. Elle fouilla derrière les draps et sortit une boîte à
tabac en métal blanc. Elle alla s’asseoir à son bureau et vida la boîte de son
contenu. Toutes ses économies y étaient. Elle compta plus de trois mille
dollars. Elle aurait assez d’argent pour payer un voyage, une garde-robe neuve
et tous les meubles dont ils auraient besoin. Il lui en resterait même pour
aider Clovis à faire un premier paiement sur une maison. Elle serra les dollars
dans sa main, souriante. Elle prendrait le train aussitôt que M. Simard
lui aurait trouvé une remplaçante.
Elle remonta se coucher et sentit que la
chaleur, enfin, commençait à prendre le dessus sur son adversaire. Elle
repoussa une des cinq couvertures et croisa ses bras sous sa tête. Elle regarda
la lune pour y rêver et pour se faire bercer. Elle regarda la lune pour
permettre à son cœur de chanter sa joie retrouvée. Elle s’endormit
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