Le cri de l'oie blanche
vers son frère et ses sœurs, à peine hésitante. Puis Émilie éclata en
sanglots. Elle n’avait plus de bébé ! Elle n’aurait plus jamais de
bébé ! Elle se tourna et roula encore sa pâte, soulagée que Rolande ait
provoqué une diversion.
La voix de Marie-Ange parvint à ses oreilles
et elle s’étonna de ne pas avoir entendu les grelots. Paul, Jeanne et Alice
étaient déjà descendus dans la classe pour accueillir leurs aînés. Émilie les
suivit à la hâte, faisant rebondir Rolande sur sa hanche. Ovide se mouchait et
reprenait son souffle. Émilie fut prise dans un tourbillon de baisers. Les
enfants la tirèrent à l’étage. Ovide suivit, invité des yeux par une Émilie qui
jubilait.
Le calme était revenu, les enfants étaient
couchés. Émilie avait insisté pour qu’Ovide dorme au lac, la neige s’étant mise
à tomber follement. Ovide avait accepté et Émilie lui avait installé un lit de
fortune dans la classe, près du coin de Rolande. Maintenant, ils étaient tous
les deux assis près du poêle, à l’écouter ronronner et à chuchoter leurs
souvenirs. Ovide toussota à quelques reprises et Émilie sut que ce toussotement
en était un faux. Ovide essayait de lui dire quelque chose.
– Qu’est-ce que c’est, Ovide, qui te fait
crachoter ton crachotement des mauvais jours ?
– Je voudrais pas briser ton plaisir,
Émilie, mais…
– Mais quoi ?
– On a reçu un télégramme d e La Tuque.
Émilie blêmit. Au ton de son beau-frère, elle
comprit que le télégramme lui était destiné, qu’il venait d’Ovila et qu’il
contenait une mauvaise nouvelle. La Tuque ! La dernière fois qu’elle avait
entendu parler d e La Tuque, c’était quand
Ovila s’y était enfui après la mort de Louisa. Elle prit l’enveloppe déjà
ouverte et déplia le papier jaune. Elle lut la signature. « Ovila. »
Elle lut ensuite le message. Ovide l’observait. Elle n’en fit aucun cas. Elle
releva la tête.
– C’est quand, le prochain train pou r La Tuque ?
– Demain matin.
Émilie se leva pour regarder dehors. La neige
tombait abondamment mais elle ne l’empêcherait pas de partir. Elle avait déjà
vu pire ! Ovide s’était levé aussi et s’était placé derrière elle. Il lui
posa une main sur l’épaule.
– Tu me disais qu’Ovila t’avait toujours
fait des surprises pour ta fête…
Émilie souffla un petit rire par les narines.
Un rire de dépit.
– Je peux aller te conduire à la gare, si
tu veux…
– Non ! Toi, tu restes ici. Il est
pas question que tu sortes au vent. Moi, j’vas faire mes valises tout de suite.
J’vas partir à trois heures. Comme ça, c’est certain que j’vas arriver à la
gare à temps.
– Ma mère a pensé que c’ est ce que tu ferais, ça fait que demain Edmond va
venir avec sa machine. On va emmener les enfants au Bourdais.
Émilie ne protesta pas. Elle fit ses valises
et demanda à Ovide d’expliquer aux enfants qu’elle serait de retour aussi vite
que possible. Elle lui demanda de leur dire, tout simplement, qu’elle avait eu
des nouvelles de leur père et qu’il lui demandait de le rejoindre à La Tuque. Ovide balaya l’air de sa main.
– Calme-toi, Émilie. Fie-toi à moi pour
inventer une histoire.
Émilie partit seule dans la nuit, dirigeant
péniblement sa carriole. Le vent l’étouffait et elle se réjouit d’avoir interdit
à Ovide de l’accompagner. Ses poumons auraient éclaté. Elle arriva à Saint-Tite
et se dirigea vers la gare. Le chef de gare l’informa de l’arrivée imminente du
train. Elle protégea sa Tite d’une bonne couverture. Edmond, elle le savait,
viendrait chercher la bête. Elle eut à peine le temps d’acheter son billet que
déjà le train glissait, fendant l’épaisseur de la neige.
Émilie monta et s’assit à côté d’un bûcheron.
Il n’y avait pas d’autre place de libre. Elle sortit Madame Bovary qu’elle n’avait pas relu depuis qu’elle était enceinte de Jeanne, à qui elle
avait aussi donné le prénom de M me Bovary, Emma. Elle lut
attentivement pendant plusieurs minutes avant de prendre conscience qu’un
silence intrigué la cernait. Elle leva les yeux et regarda les visages autour
d’elle. Elle vit qu’elle était la seule femme. Les hommes, elle le comprit,
venaient de Montréal ou de Trois-Rivières et étaient en route pour l’Abitibi.
Ils la regardaient comme si elle eût été une apparition et elle en ressentit un
malaise. Elle n’osa
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