Le cri de l'oie blanche
beaucoup
plus importants.
Après les vacances de Pâques, elle était
retournée au couvent et le seul événement important qui restait était
l’exposition des travaux ménager s. Là, sa mère
était venue voir le travail que les élèves avaient fait. Les petites de
première avaient fait des poignées. Celles de deuxième, des taies
d’oreiller brodées. Celles de troisième, un foulard tricoté. Dans la classe de
Blanche, la sixième, les filles avaient tricoté des mitaines. C’était plus
difficile que des bas, à cause du pouce. Blanche, elle, parce qu’elle avait un
statut d’orpheline, avait crocheté un rideau pour la porte principale du
couvent. Sa mère s’était extasiée. Blanche n’avait pas fait une seule erreur.
Tout ce qui chagrinait Blanche, c’était que les autres élèves emporteraient
leurs travaux chez elles à la fin de l’année alors qu’elle laisserait son
rideau au couvent. Sa mère lui avait expliqué que c’était elle la chanceuse.
Qu’elle serait la seule à laisser quelque chose de moins périssable qu’un
souvenir… Pour préparer cette exposition-là, la supérieure l’avait libérée de
ses travaux de la sacristie pour trois soirées complètes. Les religieuses
savaient qu’elle repassait bien – elle l’avait démontré avec ses taies
d’oreiller et ses surplis – et elle avait repassé toutes les pièces de
l’exposition. Elle aimait repasser parce que, pendant ce temps-là, elle pensait
aux matières vues en classe et faisait, dans sa tête, des tables de
multiplication, de soustraction, de division et d’addition.
La sœur Sainte-Eugénie avait encore les yeux
fermés. Blanche savait qu’il n’y avait plus de temps à perdre. Il fallait que
la cérémonie se termine, parce que le curé Grenier devait en faire une
semblable dans l’église de la paroisse pour ensuite attendre le vicaire. Après,
tous les paroissiens se mettraient en ligne pour le défilé de la Fête-Dieu. Les
pensionnaires suivraient en dernier parce qu’elles devaient mettre au point le
reposoir. Blanche allumerait les cierges et poserait les fleurs. Elle regarda une
dernière fois la sœur Sainte-Eugénie et soupira. Elle se leva discrètement.
Toutes les filles la dévisagèrent, pensant qu’elle avait une faiblesse. Les
religieuses étaient à l’avant. Blanche s’excusa, sortit de son banc, certaine
de faire un mauvais rêve. Elle s’approcha doucement de la sœur Sainte-Eugénie
et s’accroupit à côté d’elle, dans l’allée centrale. La sœur Sainte-Eugénie
sursauta et fit un « Hu ! » tellement fort que la supérieure se
retourna. Blanche crut qu’elle allait s’évanouir.
– Ma sœur, le voile huméral…
La sœur Sainte-Eugénie mit quelques secondes à
comprendre ce qu’elle essayait de lui dire. Puis elle regarda en direction de
l’autel, fixa Blanche de nouveau, et pâlit.
– Allez le chercher, innocente !
Blanche regarda en avant. Le vicaire venait de
s’agenouiller et tendait les mains. L’enfant de chœur cherchait le voile.
Blanche n’hésita plus. Elle marcha jusqu’à la balustrade, consciente des
chuchotements derrière elle. Elle ouvrit le crochet facilement mais un gond
grinça. Elle baissa la tête. Le vicaire jeta un coup d’œil par-dessus son
épaule, sentant qu’il se passait quelque chose d’anormal. Elle passa devant
l’autel et se souvint à la dernière seconde qu’elle devait faire une
génuflexion. Elle pliait le genou lorsqu’elle se rappela que, l’ostensoir étant
exposé, elle devait s’agenouiller complètement. Elle le fit, un peu à la hâte,
puis se dirigea vers la sacristie, certaine que son pied droit donnerait un
coup sur sa cheville gauche, comme cela lui arrivait toujours lorsqu’elle
marchait trop vite. Elle se frappa la cheville et retint sa grimace. Enfin,
elle était rendue dans la sacristie. Elle ouvrit trois tiroirs avant de trouver
le voile blanc que la sœur Sainte-Eugénie avait bien plié dans un tissu bleu.
Elle revint avec le voile, le remit à l’enfant de chœur qui s’empressa de
couvrir les épaules du vicaire. Elle s’agenouilla une autre fois, se releva et
referma la balustrade derrière elle. Elle sortit de la chapelle, courut jusqu’aux
toilettes, s’agenouilla, cette fois moins révérencieusement, et vomit. Jamais,
jamais elle n’apprendrait à être debout, seule, devant plein d’yeux. Elle
aimait les coins sombres et discrets, les endroits secrets, le silence.
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