Le cri de l'oie blanche
assez
résistant quand il s’agissait de regarder ses cuisses. Elle se contenta de
hausser les épaules, réprimant le coup d’épée qu’elle venait de recevoir au
cœur en voyant la plaie d’Ovila. Elle prit des linges qu’elle trempa dans l’eau
chaude, se mit à genoux devant lui et commença à essuyer le suintement de la
plaie. Ovila ne broncha pas. Il la regardait. Elle était très attentive à ce
qu’elle faisait, ne laissant transpirer aucune de ses pensées. Essayant
d’étouffer ses craintes quant à la complète guérison de cette jambe qui
ressemblait à une branche d’arbre remplie de nœuds. Elle était tellement occupée
par son travail qu’elle n’entendait même plus la respiration d’Ovila. Elle
oublia même que cette jambe avait déjà été assez forte pour la porter, elle.
Assez forte pour courir. Pour permettre à Ovila de marcher la tête droite.
– Excuse-moi, Émilie.
Elle leva la tête, soudainement ramenée à la
réalité. Ses yeux s’accrochèrent à ceux d’Ovila qui suintaient encore plus que
la plaie. Elle remit les linges dans l’eau, se releva péniblement, jeta l’eau
par la fenêtre et regarda l’heure.
– Je sais pas si tu veux dormir, mais
j’aime autant te dire que Rolande va être réveillée vers sept heures. Ça te
donnerait quatre heures.
– Va dormir, Émilie. Moi, j’vas rester
ici. Pour jongler.
Émilie lui sourit faiblement et se dirigea
vers son lit. Elle se recoucha et ferma les yeux pour penser à ce retour tant
redouté et pourtant espéré. Elle l’avait imaginé autrement. Elle s’était vue
différemment. Elle avait tellement de fois pensé qu’elle courrait à sa
rencontre. Qu’elle lui sauterait au cou. Qu’il la prendrait dans ses bras en
lui chuchotant quelque chose comme : « Ma belle brume, je t’aime
tant. ». Elle s’était vue les cheveux au vent et les yeux illuminés de
soleil. Mais il était rentré en pleine nuit, presque pendant un cauchemar. Ils
s’étaient tous les deux immédiatement piqués. Non, il n’y avait plus d’avenir
pour eux.
Émilie croula dans le sommeil. Elle n’entendit
pas Ovila marcher. Elle ne l’entendit pas non plus aller près du berceau de
Rolande. Pas plus qu’elle ne le sentit lorsqu’il se glissa doucement à côté
d’elle. Pas plus que son chuchotement, « Émilie, ma belle brume, je
t’aime », ne réussit à pénétrer dans ce rêve qu’elle faisait et qui
goûtait tous ses souvenirs d’amour.
Rolande poussa un cri et s’enfuit. Émilie,
réveillée en sursaut, s’assit brusquement dans son lit, une main appuyée sur le
ventre d’Ovila. Elle regarda sa main, puis la direction qu’avait prise Rolande.
Ovila avait les yeux ouverts et les sourcils froncés. Elle lui sourit et il lui
rendit son sourire. Leurs quelques heures de sommeil avaient effacé la brouille
de la nuit.
– Rolande ! Viens ici, Rolande.
Le visage de Rolande apparut dans l’embrasure
de la porte, méfiant. Émilie lui fit une place à côté d’elle, du côté opposé à
celui d’Ovila. Rolande s’approcha craintivement pendant que son père la regardait,
fasciné. Rolande monta à côté de sa mère et se nicha dans le repli de son
ventre. Émilie tourna le dos à Ovila et joua
quelques minutes avec le bébé, lui levant une paupière, puis l’autre, lui
chatouillant le nombril. La méfiance de Rolande s’évanouit et elle commença à
essayer de voir derrière sa mère. Ovila lui fit une grimace et un clin d’œil.
Rolande se cacha quelques instants puis recommença son jeu. Ovila fit deux
grimaces, un clin d’œil et émit un sifflement. Rolande éclata de rire et se
cacha de nouveau. Émilie ferma les yeux avant de se rasseoir dans le lit, se
souvenant de l’arrivée d’une Marie-Ange bébé qui leur avait fait la surprise de
marcher seule.
Rolande et Ovila continuèrent leur petit jeu
jusqu’à ce que Rolande passe par-dessus sa mère pour se réfugier dans les bras
d’Ovila. Il la serra un peu trop fort et Rolande sembla se demander si elle
avait eu une bonne idée. Mais Ovila relâchant son étreinte, elle recommença à
s’amuser. Elle lui tira le nez, fouilla dans sa bouche et lui souffla sur le
ventre. Ovila rit aux éclats. Émilie soupira. Il avait son même rire plein de
feu et de crépitements.
Pendant deux jours, Ovila ne parla p as d’aller voir les autres enfants, pas plus
qu’il ne parla d ’aller au Bourdais voir sa
mère. Émilie, respectant cette
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