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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Elle avait oublié le missel et le chapelet ! Elle courut ensuite
chez le boucher, chercher ce qu’il avait l’habitude de lui mettre de
côté : la langue de bœuf, le foie, la cervelle, le ris, le cœur et les
rognons de veau. Personne, sauf elle, ne voulait de ces morceaux. Émilie avait
découvert que le boucher les jetait, comme son père l’avait fait, comme son
beau-père l’avait fait, comme le faisaient tous ceux qui abattaient un animal.
Elle avait longuement hésité avant de les lui demander, certaine qu’un tel
achat soulèverait un dégoût général, et avait prétexté qu’il n’y avait rien de
mieux pour les chats ! Le boucher ne lui avait jamais demandé de payer.
Elle s’était abstenue de dire aux enfants ce qu’ils mangeaient. Elle camouflait
tous les morceaux, déguisant la langue bouillie en bœuf ordinaire dans le
pot-au-feu, le foie dans du lard sauté, le
cœur et les rognons avec la volaille. Les enfants ne s’étaient jamais plaints
et elle-même avait pris goût à ces viscères immangeables. Après sa visite chez
le boucher, elle était partie chercher de la farine avant de retourner au
presbytère. Cette fois, elle y vit la calèche du curé, mais c’est quand elle
aperçut aussi sa bicyclette qu’elle eut la certitude qu’il était bien de
retour.
    Le curé l’accueillit avec empressement, la
saluant rapidement avant de se précipiter sur Rolande et de la faire sauter sur
ses genoux.
    – Nous nous sommes ratés de peu. En fait,
c’est bien parce que j’avais oublié quelque chose que je suis revenu au
presbytère et M me  Rocheleau m’a dit que vous vouliez me voir.
Les oreilles ont dû vous vibrer parce que j’ai la plus belle des nouvelles à
vous annoncer.
    – Moi aussi, j’en ai une.
    – Après. Je suis tellement heureux que je
ne peux attendre. J’ai trouvé un emploi pour votre Rose !
    Il déposa Rolande par terre et appela la
ménagère pour qu’elle lui apporte des cuillers de bois et des chaudrons. Cette
dernière arriva aussitôt et Rolande s’installa par terre, se léchant les lèvres
de plaisir à l’idée de toute la belle musique qu’elle ferait. Émilie aurait
voulu bien comprendre ce que le curé racontait. Entre deux boums de Rolande et
trois de son cœur à elle, elle ne pouvait qu’entendre : Rose aux
États-Unis ! Boum ! Rose seule, abandonnée. Boum ! Rose au
service des sœurs de la Congrégation à St. Albans, au Vermont !
Boum ! Boum !
    – Jamais ! Rose a besoin de moi.
Rose est même pas capable de couper des fils sur des gants sans couper les
doigts.
    – Rose a surtout pas besoin d’avoir des
dizaines de paires de gants qui lui tombent sur la tête comme une malédiction.
Dix doigts qui la désignent sans arrêt en lui rappelant qu’elle est lambine.
Non, Émilie. Rose a habité au presbytère pendant un an et je l’ai vue agir. Elle est débrouillarde, bonne cuisinière, bonne ménagère
et bonne couturière.
    – Je sais ça ! Mais Rose a besoin de
moi ! J’ai juré !
    – Juré quoi ?
    – Qu’elle serait comme toutes les autres
filles.
    – Alors, Émilie, tenez votre
promesse ! Donnez-lui la chance de s’éloigner de vos jupons ! Je le
sais, moi, que vous avez remboursé chacun des gants qu’elle a amputés !
    – Qui vous a dit ça ?
    – Mon petit doigt.
    Rolande cessa de tambouriner. Elle leva les
yeux vers sa mère, inquiète du ton de sa voix, prête à pleurer si elle sentait
que c’était ce qu’il lui fallait faire. Émilie se ressaisit.
    – C’est où exactement, St. Albans ?
    – C’est plus près de Montréal que Québec
l’est. Ce n’est pas à l’autre bout de la terre, Émilie. Qui sait ?
Peut-être que votre Rose va faire un pied de nez à tout le monde en apprenant à
parler l’anglais.
    – Rose sera jamais capable de se rendre
là toute seule ! J’imagine que c’est le train qui va là ?
    – Qui a dit qu’elle irait seule ?
    – Vous ?
    – Non. Vous.
    Émilie profita des insomnies que provoqua
cette offre pour avancer ses travaux de couture. Rose… Pauvre Rose. Mais après
avoir rempli ses yeux de rougeurs, elle décida d’accepter. Rose devait apprendre
à se débrouiller. Elle n’aurait pas toujours sa mère pour passer derrière elle
avec un porte-monnaie ou un porte-poussière. Pauvre Rose…
    Une réalité encore plus crue la fouetta. Elle
devait aller reconduire sa fille, revenir, et repartir aussitôt pour Mistassini
avec Paul. Tout

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