Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
il
y avait les yeux les plus magnifiques qu’elle ait jamais vus. Et des lèvres
charnues qui n’auraient certainement jamais attendu d’être embrassées si tout
ce qui les encadrait n’eût ressemblé à une surface de bois pleine de nœuds impossibles
à poncer. Sarah, à qui les religieuses avaient certainement parlé de Rose, se
prit immédiatement d’affection pour cette dernière. « Quoi de mieux pour
elle que d’avoir une femme-enfant à sa charge ? », pensa Émilie.
Rose, pour sa part, ne semblait voir que les yeux et la bouche de Sarah.
« Heureuse Rose, pensa Émilie, pour qui un sourire est meilleur qu’un
cadeau ; une marque d’attention plus précieuse qu’un trésor. »
    Rose eut la permission d’accompagner sa mère à
la gare, avec Sarah. Émilie monta sur la première marche du wagon, essayant de
sourire à l’innocence de Rose qui ne comprenait pas qu’il se passerait des
mois, peut-être des années avant qu’elles se revoient. Elle la tint longuement
dans ses bras, la serrant aussi fort qu’elle le pouvait, sentant sous sa robe
les seins maintenant bien formés de sa fille. Sa fille était une femme… Mais
dans ses yeux Émilie ne voyait que l’amusement propre à l’enfance. Elle lui
avait au moins appris à lire et à écrire… Émilie mit le pied sur la dernière
marche et se tourna une ultime fois. Rose souriait à Sarah, qui lui fit un
signe d’encouragement.
    –  Ave a nii-ce trip ome, mo -der.
    Émilie se figea. Rose avait, en une journée à
peine, appris une phrase en anglais. Elle ne pouvait détacher son regard de
cette enfant qu’elle laissait derrière elle. Puis elle prit conscience que de
lourdes larmes lui roulaient sur les joues. Rose commença à grimacer, se
tordant les mains.
    – J’ai juste dit bon voyage, moman.
Pourquoi que vous pleurez ?
    – Je pleure de joie, ma Rose, s’efforça
de dire Émilie. Je t’ai déjà expliqué ça. Des fois, on pleure de joie. Ma joie,
c’est de t’avoir entendue me parler dans des mots que moi-même je comprends
pas.
    Rose s’illumina aussitôt. Elle avait fait
plaisir à sa mère. Elle lui avait fait vraiment plaisir.
    –  All aboard ! cria le chef
de train.
    Émilie souffla une bise à sa fille qui fit la
même chose. Elle s’assit du côté du wagon d’où elle pouvait apercevoir Rose.
Celle-ci se planta devant sa fenêtre sans cesser de sourire et d’agiter la
main. Mais Émilie vit que dans ses yeux il y avait des larmes. Pauvre Rose…
Jusqu’où avait-elle feint son incompréhension pour faire plaisir à sa
mère ?…
    Elle arriva à la gare tard le soir et marcha
lourdement jusqu’à l’hôtel Windsor. Elle se dirigea vers le préposé à
l’inscription et sortit le papier confirmant sa réservation. Il lui remit sa
clef et elle le remercia, feignant de ne pas remarquer qu’aucun des jeunes
chasseurs ne se précipitait devant elle pour prendre sa valise et l’escorter jusqu’à
sa chambre. Elle était une grosse vieille femme, terne, épuisée, amère. Une
femme qui ne ressemblait en rien à celle qui était déjà entrée dans cet hôtel
en sautillant de joie, pendue au bras de son homme tout aussi enthousiaste
qu’elle.
    Elle mit la clef dans la serrure et la tourna.
Son cœur lui battait aux tempes tellement vigoureusement qu’elle se demanda si
elle aurait la force d’entrer. Quelle idée avait-elle eue ! Quelle cruelle
idée que de revenir ici, faire un pèlerinage au lieu de son bonheur
évanoui ! Elle pénétra néanmoins dans la chambre, qui sentait le cigare.
Elle en fit le tour des yeux, marcha vers la fenêtre pour fermer le rideau et
alla à la salle de bains ouvrir le robinet d’eau chaude. Elle revint vers le
lit et commença lentement à se dévêtir, jurant contre un bouton coincé dans un
fil de la boutonnière. Si Ovila avait été là, il l’aurait aidée. Si Ovila avait
été là, la chambre n’aurait pas senti le cigare mais la pipe. Si Ovila avait
été là, Rose aurait été avec les siens.
    Émilie plia le couvre-lit soigneusement. Elle
tira ensuite la couverture et toucha aux oreillers. Ils étaient toujours aussi
moelleux. Elle se glissa finalement entre les draps et se tourna sur le ventre.
Quand elle s’éveilla, le lendemain matin, elle tenait un oreiller dans ses
bras, ce qui ne lui était pas arrivé depuis ses terribles heures d’ennui à
Shawinigan.
    Elle reconnut le trajet. Dans quelques
minutes, elle descendrait du tramway de la rue

Weitere Kostenlose Bücher