Le cri de l'oie blanche
religieuse
vint les rejoindre, s’approcha de la prieure, lui chuchota quelque chose à
l’oreille, et la prieure poussa un cri étranglé avant de fausser compagnie à
Émilie.
***
Le train roulait péniblement à travers un
orage qui avait noirci le ciel aussi rapidement que si quelque ange s’était
amusé à le charbonner. Émilie tenait dans sa main droite la lettre de Berthe et
dans sa main gauche un mouchoir avec lequel elle essuyait ses larmes au fur et
à mesure qu’elles apparaissaient. Quand ses yeux n’étaient pas trop
embrouillés, elle relisait la lettre que Berthe lui avait écrite avant de
l’abandonner sur son lit.
Ange ou diable, mon amie, tu m’as montré
qui j’étais. Je préfère mourir tout de suite, toute seule. Tu as raison, mon
amie, ma vie n’a été qu’un mensonge et je vais au moins, pour une fois, avoir
le courage de faire ce qu’il faut faire. Comme un soldat. Mais moi, mon amie,
je n’ai combattu pour aucune cause, pour personne sinon moi-même. Et je ne
mérite pas la terre sacrée réservée aux humbles. Merci, mon amie, et, du lieu
où je serai – ne le répète jamais, mais je n’ai jamais cru à l’enfer, ni à
grand-chose d’ailleurs –, je penserai à toi, la grande mule de Saint-Stanislas.
Pardonne-moi mon silence, mais je n’ai jamais su que répondre à ton mal.
Berthe.
P. -S. Que Dieu te bénisse.
Encore une fois, prisonnière d’un train,
Émilie pleura. Et maintenant Paul l’attendait pour qu’elle aille le reconduire
à Mistassini. Chez les trappistes ! Une autre sorte de cloître. Elle
pleura encore, mais, cette fois, de crainte, de peur. Elle le laisserait
partir, mais maintenant elle aurait peur que quelque chose en Paul se dérègle.
Il avait déjà la santé si fragile. Elle avait peur, tellement peur.
« Ha ! Berthe. Pourquoi m’avoir donné ce poids en héritage ?
Pourquoi ? Pourquoi me rendre responsable du fait que tu dors seule au
fond d’un jardin au lieu d’être avec tes compagnes ? Ha ! Berthe…
J’ai simplement voulu te revoir vivre. »
***
Émilie s’attaqua aux préparatifs du départ de
Paul avec l’énergie qu’elle aurait mise pour lui préparer une retraite
paisible. Elle ne cessait de lui vanter tous les mérites de ce qu’il vivrait,
insistant davantage sur la scolarisation que sur la vie religieuse qui
s’ouvrirait devant lui. Elle avait encore mal à ses souvenirs de Berthe. Même
si le curé Grenier lui avait dit qu’elle n’était responsable de rien. Même s’il
lui avait dit qu’elle devait voir en l’âme de son amie une âme malade. Il
l’avait aussi rassurée en affirmant que Dieu, dans sa miséricorde, lui
ouvrirait certainement un coin du ciel.
« Elle l’a certainement mérité après
autant d’années de prière, de méditation et d’abnégation. »
Émilie avait essayé de discuter avec lui du
fait que Berthe n’avait jamais eu le courage de quitter le cloître, mais le
curé n’avait voulu rien entendre.
« Émilie, il vous faudra accepter que des
gens soient faibles, même les gens que vous aimez. Il vous faudra apprendre à
faire confiance à une volonté supérieure à la vôtre. Si cette volonté a demandé
à Berthe de rester au cloître, c’est certainement parce que Berthe avait un
rôle à y jouer. »
Elle se souvenait de façon très aiguë qu’il
l’avait regardée avant d’ajouter, presque ironiquement :
« Ne fût-ce que ramener son amie à la
foi. »
Paul ne tenait pas en place. Émilie eut beau
essayer de le calmer, il ne cessait de parler, posant des questions du matin au
soir sur la matière qu’il verrait en classe, sur le fait qu’il pourrait être
enfant de chœur, sur son surplis… Émilie conserva son calme, pour tenter
d’équilibrer l’atmosphère de la maison que Paul survoltait.
Le départ, toutefois, se fit très doucement,
Paul étant affligé d’une bonne fièvre. Émilie s’en inquiéta ; aussi le
fit-elle voir par le médecin avant de se diriger vers la gare. Le médecin
examina Paul soigneusement et rassura sa mère. Paul souffrait d’une « fièvre
d’énervement ».
Émilie eut une nausée lorsqu’elle entra dans
le wagon. Maintenant, les wagons de train dégageaient une odeur qui la
dégoûtait. Ils sentaient le parfum dont elle s’était aspergée pour accompagner
Ovila à Montréal. Ils sentaient son départ de Shawinigan et la nuit sans fin
qu’elle avait vue devant elle. Ils sentaient
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