Le cri de l'oie blanche
l’hôpital d e La Tuque et la jambe d’Ovila : chair en charpie. Ils
sentaient l’air de St. Albans, l’absence de Rose, la mort de Berthe et
maintenant le départ de son Paul, qu’elle tenait d’une main ferme, insoumise à
l’idée qu’il lui échapperait peut-être pour toujours.
11
De voir sa sœur cadette parader à ses côtés en
chemise de nuit mit Blanche mal à l’aise. Jeanne se prévalait du fait que sa
sœur aînée connaissait les airs du couvent, les religieuses et la majorité des
pensionnaires. Elle affichait une assurance qui faisait blêmir Blanche d’envie.
Depuis qu’elle était au pensionnat, elle n’avait eu que Louisa pour amie, et
elle avait appris que Louisa ne reviendrait plus. Ses parents avaient déménagé
à Montréal et Louisa était quelque part dans un autre pensionnat, dans une
ville qui s’appelait Outremont. Blanche avait obtenu son adresse et s’était
promis de lui écrire.
Elle commença sa septième année avec un
sérieux que les religieuses lui connaissaient mais qu’elle ne voyait pas. Elle
aimait tellement étudier qu’elle n’avait jamais pensé pouvoir faire autre
chose. Sa tête enregistrait les nouvelles matières assez rapidement pour lui
permettre de bien servir le curé. Le curé Grenier avait maintenant l’habitude
de prendre ses repas au couvent et Blanche avait eu l’immense privilège d’être
affectée à son service. Habituellement, une telle tâche aurait dû être confiée
à une grande, mais Blanche ayant « fait ses preuves », c’est elle qui
fut désignée. Jeanne, elle, avait hérité de l’entretien des parloirs. Et elle
ne semblait pas se formaliser de son statut d’orpheline. Elle haussait tout
simplement les épaules et répondait qu’elle aimait mieux être orpheline d’un
père vivant que d’un père mort ! Certaines pensionnaires qui n’étaient pas
de la région ne comprenaient pas ce qu’elle voulait dire ; aussi Blanche
lui demanda-t-elle d’être plus discrète.
– Jeanne, fais attention. Il y a des
filles qui peuvent penser que notre mère triche pour qu’on ait le couvent sans
payer.
Jeanne avait cessé de parler de son père,
comme Blanche l’avait fait l’année précédente. Maintenant, chaque fois que
Blanche pensait à lui, elle ne pensait qu’à des moments qu’elle aurait voulu
oublier. Maintenant qu’elle avait terriblement grandi, maintenant qu’elle avait
onze ans, elle savait que la mémoire jouait de vilains tours et que son père
avait fait autre chose que des cages à oiseaux. Si sa mère n’en parlait presque
plus, c’était probablement parce que sa mère n’avait rien de neuf à raconter.
Elle leur avait déjà tout dit. Du moins Blanche le croyait-elle.
Cette deuxième année au couvent avait eu un
drôle de goût. Pas tant parce que le couvent avait changé mais davantage parce
que les congés, eux, n’étaient plus les mêmes. Rose et Paul absents, les sept
enfants qui avaient été avec leur mère durant les congés ne pouvaient pas rire
aussi facilement. Surtout parce que leur mère ne cessait de leur lire et relire
les lettres que Rose et Paul avaient écrites. Blanche savait que sa mère
s’ennuyait, mais elle trouvait que son ennui était partout, même dans la
nourriture que, plus souvent qu’autrement, elle oubliait de saler.
Blanche s’était jointe aux Enfants de Marie
dans l’espoir d’occuper ses quelques moments libres. Ainsi, elle échappait à la
longue promenade que les pensionnaires faisaient le soir après l’étude, avant
d’aller dormir. Elle détestait ces promenades. Les pensionnaires devaient
marcher deux par deux et une religieuse fermait les rangs, les rabrouant constamment
pour la moindre petite infraction. Blanche abhorrait ces sorties surtout parce
que les gens disaient toujours : « Tiens, les pensionnaires. »
Elle n’aimait pas se sentir appartenir à un groupe. Elle détestait encore plus
être reconnue par quelqu’un qui, trop souvent, hochait la tête en la voyant.
Blanche savait que cette attitude devait être liée à l’absence de son père mais
elle refusait de se faire regarder comme si elle avait été une photographie
dans un catalogue.
Aux grandes vacances des fêtes, elle avait
appris que Clément laisserait le collège pour aller vivre chez sa tante Éva, au
lac à la Tortue. Elle avait aussi appris que sa grand-mère Pronovost avait
décidé de suivre Clément. Maintenant, son oncle Ti-Ton habitait le rang
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