Le cri de l'oie blanche
morceaux de literie qu’elle ne l’avait jamais fait.
Elle s’en informa à la religieuse qui supervisait la préparation de
l’exposition et cette dernière lui répondit que c’était elle qui s’appliquait
davantage. Blanche haussa les épaules, incrédule et étonnée.
Elle aurait voulu avoir le cœur gonflé de
tristesse à l’idée de quitter le couvent mais elle en était incapable. Elle
n’en pouvait plus d’attendre la dernière journée, celle de la remise des prix
et des brevets. Maintenant, elle serait libre, libre de choisir. Elle
choisirait d’abord l’enseignement, après quoi elle verrait. Napoléon aurait
peut-être des suggestions. Il lui avait promis d’être présent à la cérémonie et
elle savait qu’il le serait. Sa mère avait accepté qu’il y assiste avec elle.
Elle prit un tablier et l’enfila sur le bout
de la planche. Elle l’aplatit résolument d’un bon coup de fer. Sa mère lui
avait dit que la journée du 14 juin serait une grosse journée. Non seulement
avait-elle la remise des diplômes au couvent de sa fille mais elle devait aussi
assister aux fiançailles d’un cousin éloigné, Fidèle Dessureault. Elle irait
d’abord aux fiançailles puis rejoindrait Napoléon avant de venir au couvent.
Blanche retira le tablier après l’avoir
soigneusement plié et prit les derniers morceaux : les siens. Cette année,
elle laisserait trois couvre-pieds qu’elle avait tissés, une courtepointe à
motifs d’étoiles et quatre douzaines de serviettes de table brodées et
dentelées. Elle les renifla et s’attrista encore du fait que jamais elle
n’avait pu emporter un seul de ses travaux. Elle s’était quand même appliquée
pour chacun, ayant toujours conservé en mémoire ce que sa mère lui avait
dit : elle laisserait quelque chose de moins périssable qu’un souvenir.
Elle débrancha et rangea le fer pour la dernière fois.
La salle d’exposition avait été bien décorée
et Blanche savait qu’elle avait maintenant fini de « servir ». Elle
pouvait préparer « son » uniforme, laver « ses » gants
blancs et consacrer quelques jours au choix d’une coiffure. Elle voulait être
la plus élégante des finissantes, à défaut d’être la plus jolie. Elle voulait
que Napoléon n’ait d’yeux que pour elle.
Elle songeait à tous leurs projets, bouclant
une mèche au fer chaud, lorsque la religieuse responsable de l’exposition
arriva derrière elle.
– Marie-Blanche, je trouve impensable de
présenter vos consœurs dans leurs uniformes. Il y en a cinq ou six qui ont
l’air de vraies guenilles. Aussi, je leur ai dit de vous apporter les uniformes
pour que vous les repassiez. Vous êtes la seule capable de leur redonner une
forme.
Blanche grimaça. Jusqu’à la dernière journée,
elle aura eu le sentiment d’avoir été utilisée. Jusqu’à la dernière journée, on
lui aura gentiment rappelé son statut d’orpheline.
L’exposition connut un grand succès, comme à
chaque année. Aussitôt les tables balayées de leur contenu et rangées le long
des murs, les religieuses fixèrent de longues heures de répétition pour la
remise des prix et des diplômes. Les journées de classe furent amputées de
plusieurs heures. Les élèves n’eurent plus que deux sujets de préoccupation :
les examens de fin d’année et la grande soirée du 14 juin. Blanche elle-même,
habituellement calme, se laissa happer par la frénésie et les potinages quant à
savoir laquelle des finissantes obtiendrait tel ou tel prix. Elle alla même jusqu’à
accepter d’essayer, en cachette, les différents fards à joues et à lèvres que
ses consœurs externes apportaient dans leurs poches d’uniforme.
Elle démêlait difficilement ses sentiments.
Elle n’en pouvait plus d’attendre de quitter le couvent et de reprendre une vie
« normale » ; elle mourait d’insomnie en pensant à l’arrivée de
Napoléon ; elle se mordillait les lèvres en se demandant si elle recevrait
ou non un prix ou une mention ; mais surtout, elle avait une hâte maladive
de voir la fierté dans le visage de sa mère lorsqu’elle serait debout devant
toute l’assistance.
Le 14 juin vint enfin. Une merveilleuse
journée ensoleillée, peut-être trop humide pour les boucles de ses cheveux. Les
religieuses permirent aux finissantes de prendre l’après-midi complet pour
mettre au point les derniers préparatifs. Ces dernières exécutèrent les travaux
nécessaires en un temps
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