Le cri de l'oie blanche
d’une lune souriante qu’ils entrèrent à l’école, tous ébranlés et
éreintés. Émilie et sa fille donnèrent libre cours à leur émotion sous les
regards d’un Napoléon aussi impressionné par la journée qu’il venait de vivre
que par l’émoi de sa fiancée. Sans même qu’on le lui demande, il mit de l’eau à
bouillir et fit un thé bien fort. Ils s’attablèrent et burent, d’abord
silencieux, puis soupirant de plus en plus avant de finalement rire de
nervosité et d’épuisement. Profitant de l’euphorie qui s’était enfin immiscée
sous les combles, Napoléon sortit un présent de sa poche. Le ruban était
froissé et le papier d’emballage déchiré.
– Avec ce qui vient de se passer, c’est
peut-être pas le moment de donner un cadeau.
Il l’offrit en s’excusant presque. Blanche
tendit une main tremblotante de nervosité et d’hilarité et prit la petite boîte
que Napoléon lui tendait. Elle défit le fragile emballage et découvrit une
magnifique plume sertie de nacre.
– J’ai pensé qu’une institutrice aurait
besoin d’une bonne plume.
Blanche se mordit la lèvre inférieure,
découvrant ainsi sa dent d’or. Napoléon venait de signer un traité de paix.
Maintenant, il ne lui parlerait plus de ses réticences à la voir enseigner
avant leur mariage. Émilie, sentant qu’il se passait quelque chose qu’elle ne
comprenait pas, accusa la fatigue et s’empressa d’aller se coucher. Napoléon se
rapprocha de Blanche et lui prit une épaule.
– Je suis pas fier de moi du tout.
J’aurais jamais dû discuter comme je l’ai fait. C’est tes affaires. Pas les
miennes. On parlera de nos affaires quand on aura dit le grand
« oui ». D’ici là, il va falloir que j’apprenne à te regarder aller.
Ne sachant trop comment interpréter le mutisme
de Blanche, il s’éloigna d’elle. Question de se donner une contenance, il se
resservit une tasse de thé, oublia le tamis et se retrouva avec une tasse
remplie de feuilles. Blanche s’en empara, regarda l’intérieur de la tasse en
fronçant les sourcils, passa ses mains au-dessus en faisant mine de dire tout
bas des milliers d’incantations et leva ensuite les yeux vers Napoléon.
– Abrrracadabrrra ! Je vois un
grrrand avenirrr pourr vous. Et à vos côtés, j’aperrrçois une jeune fille aux
yeux bleus pas plus haute que… comment dites-vous… trrrois pommes. Elle est
institutrrrice mais passe ses soirrrées à coudre un trrrousseau et à fairrre
des dentelles frrrançaises.
Elle appuya tellement sur le mot
« françaises » en se moquant gentiment de l’accent de la mère de
Napoléon qu’il ne put retenir un éclat de rire.
– Mais je vois que cette jeune fille vous
attend, malgrrré son jeune âge, et qu’elle passerrra des heurrres et des
heurrres à se prrratiquer à ne plus tomber surrr les fesses de façon à ne plus vous fairrre honte.
Elle tourna la tasse de thé dans ses mains,
l’air toujours aussi sérieux.
– Hahaaa ! Je vois que vous
habiterrrez tous les deux une grrrande maison rrremplie d’enfants et de bon
goût…
Elle leva les yeux en direction de Napoléon
qui, encore une fois, éclata de rire.
–… que la jeune fille astiquerrra pendant des heurrres et des heurrres en jurant
que jamais plus elle n’habiterrra une aussi grrrande maison rrremplie
d’escaliers. Mais… leurrrs deux enfants rrréussiront dans la vie au-delà de
toute espérrrance.
– Deux ?
– Pardon, douze !
– C’est mieux…
Abandonnant son personnage, Blanche le
regarda, une moue sur les lèvres.
– On n’aura pas douze enfants !
– Pourquoi pas ? On va en avoir les
moyens.
– M’as-tu regardée ? Je suis pas bât ie comme une femme qui peut avoir des douzaines
d’enfants !
Sentant que Blanche était trop fatiguée pour
entreprendre une nouvelle discussion sur leur avenir, Napoléon bâilla
discrètement et demanda si elle ne voyait pas d’objection à ce qu’il se couche.
Mais Blanche, tout à coup, était inquiète.
– Pas douze… C’est une farce que je
faisais.
– Pas douze, d’abord.
– Combien ?
– Quinze !
– Quatre ?
– Huit !
– Six ?
– Six !
Rassurée, elle se leva, rinça la tasse et la
posa près du plat à vaisselle. Napoléon se plaça derrière elle et l’enserra.
– De toute façon, on a bien le temps d’y
penser. Pis à part ça, peut-être qu’on pourra même pas en avoir un.
Il la fit pivoter et lui
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