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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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faire prier. La présence et la voix
d’Ovide rompirent la quasi-monotonie de la maison, qui abritait cinq femmes
attifées de jolies robes garnies, comme la nappe et les serviettes de table, de
dentelles. L’odeur de transpiration d’Ovide contrastait presque agréablement
avec celle des parfums des femmes.
    Blanche souffla les dix-huit bougies que sa
mère avait allumées sur un gâteau plus élevé d’un côté.
    – J’ai hâte de rester dans une maison où
le plancher va être au niveau. Clément a eu beau mettre des planches en dessous
des pattes, le poêle est toujours croche. J’espère que tu as quand même fait un
désir.
    Blanche sourit à sa mère qui, tous les jours,
trouvait une imperfection à ses locaux. Elle la connaissait assez bien pour
savoir que ces complaintes faisaient partie de son plaisir. Sa mère commençait
souvent une phrase par une critique pour en conclure, quelques minutes plus
tard, qu’elle avait vu pire. C’était sa façon de se consoler de ne pas avoir
obtenu tout ce qu’elle attendait de la vie.
    – Remarque que j’aime mieux avoir des
gâteaux un peu croches dans une maison chaude que des gâteaux bien plats dans
une maison glacée.
    Blanche éclata de rire et, ce faisant, elle
s’étouffa comme elle le faisait souvent quand elle buvait un thé trop chaud.
Émilie se leva et lui tapota le dos . C’était
devenu un rituel des repas.
    Blanche coupa le gâteau et en offrit une
généreuse portion à Émilie, qui la refusa en alléguant qu’elle était déjà bien
trop grosse mais y piqua sa fourchette sans laisser à sa fille le temps de lui
en donner un morceau plus petit. Elle leva l’ustensile en direction de sa fille
comme si elle lui portait un toast.
    – À toutes les joies pis les décisions de
tes dix-huit ans, Blanche.
    Blanche fronça les sourcils. Sa mère, ce soir,
lui ouvrait trop de portes. Elle semblait vouloir l’entraîner sur ce terrain
qu’elle appréhendait : celui de son avenir.
    Blanche frappa la fourchette de sa mère avec
la sienne.
    – Aux grands changements que vous semblez
toujours attendre, moman.
    Cette fois, ce fut Émilie qui avala sa bouchée
de travers.
    – Est-ce que je t’ai déjà raconté,
Blanche, le soir de ta naissance ?
    Sa mère était d’humeur aux confidences, elle
n’en doutait plus. Si pendant des années elle avait attendu ce moment,
maintenant qu’il semblait vouloir se présenter, elle voulait le fuir. Sa mère
avait un air moqueur. Peut-être que sa naissance avait été drôle.
    – Non.
    – Bonne affaire. Je t’ai juré, quand tu
avais quelques heures à peine, de jamais le dire à personne.
    Émilie prit une autre bouchée qu’elle mastiqua
longuement devant une Blanche maintenant intriguée.
    – Qu’est-ce que ma naissance a eu de
spécial ?
    – Rien.
    – Ah ! moman, vous faites exprès.
    – Un peu, mais ça m’amuse.
    – À mes dépens…
    – Non. Je m’amuse avec mes souvenirs,
c’est tout.
    Quand sa mère finissait une phrase par un
« c’est tout », Blanche savait la discussion close. Elle prit un
autre morceau de gâteau.
    Blanche aimait ses élèves et ceux-ci le lui
rendaient bien. Chaque matin quand elle entrait dans sa classe, elle se
félicitait de son choix. L’enseignement comblait tous ses besoins. Il lui apprenait
à taire sa timidité, à être à l’écoute des cœurs de ses petits élèves qui
savaient encore exprimer les grandes joies et les grandes peines de leur vie
sans les nuancer. Elle se découvrait aussi une patience dont elle ne
soupçonnait même pas l’existence. Ainsi, le petit Pierre, qui par ses
difficultés retardait tout le groupe de sa classe, était maintenant bien
installé à côté d’elle et elle surveillait ses moindres gestes. Elle racontait
à sa mère toutes les anecdotes dignes d’intérêt. Sa mère faisait la même chose
et souvent elles riaient à gorge déployée de quelque mot d’enfant. Émilie lui
confia que jamais, depuis l’année où Antoinette avait habité avec elle, elle
n’avait eu autant de plaisir à enseigner.
    – Parlant d’Antoinette, j’ai reçu une lettre
d’Henri Douville. D’après lui, c’est pas impossible qu’une fille aille à
l’université.
    Blanche soupira. Sa mère recommençait son
harcèlement.
    – J’aime mieux pas parler de ça, moman.
Je vous l’ai dit, pour l’instant j’ai envie d’enseigner. Rien de plus. Vous le
savez.
    Blanche ne disait pas la vérité. Elle

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