Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
s'adressât directement à la reine.
— Enfin, dit Le Noir, l'air solennel, je vous commets en mission d'État auprès des nourrisseurs de bestiaux du Faubourg-Saint-Antoine. Transportez-vous sans délai hors les murs et rencontrez les principaux d'entre eux afin que chacun prenne ses mesures. L'intérêt commun appelle une action discrète et immédiate. Le pire serait que la rumeur enflât et mît à plat leur négoce par la terreur qu'inspirerait la divulgation d'inquiétantes nouvelles. Je le répète, faites au mieux et vite. Sachez que le roi, informé de la situation, suit personnellement cette affaire.
Il ponctua son exhortation d'un coup du plat de la main tandis que son interlocuteur, sans rien comprendre à cette dernière histoire, trouvait que l'on chargeait beaucoup la barque. Si, au moins, il avait pu démêler la nature de la nouvelle mission que son chef souhaitait lui confier !
— Monseigneur, je suis votre obéissant serviteur, et tout aux ordres du roi. Cependant, puis-je vous prier de préciser…
— Ah ! dit Le Noir s'esclaffant et esquissant un gracieux salut, suis-je étourdi. Je vous parlais comme à moi-même. Apprenez donc que nos provinces méridionales sont touchées par une maladie putride et pestilentielle qui détruit le bétail. Et cela réapparaît de manière sporadique depuis 1714.
— Est-ce cela qu'on nomme charbon ?
Le Noir le fixa avec un rien d'étonnement.
— Il y paraît. Non seulement cette peste affecte les animaux, mais la Faculté a constaté qu'elle pouvait aussi infecter la population. D'où vient-elle ? me direz-vous. Comment parvient-elle dans nos provinces du Sud ? Pour le coup, celle-là a commencé à dix lieues de Bayonne, au village de Villefranque, lequel ne subsiste, notons-le, que par des tanneries.
— Les peaux seraient donc coupables ?
Pour la seconde fois, Le Noir considéra Nicolas avec intérêt.
— Vous pensez vite et bien. Ces peaux sont d'ordinaire débarquées au port de Bayonne, en provenance parfois de Hollande et plus souvent de Guadeloupe. Quoi qu'il en soit, la contagion de la maladie sévit depuis des années chez les Bataves et a détruit la plus grande partie des bêtes à cornes de notre île. On tente bien, quand la chose est connue, d'enterrer les carcasses, mais il faut encore compter avec la tentation de les déterrer pour récupérer le cuir. Et que dire des carnassiers, comme les loups, qui s'attachent à les dévorer. Ces cuirs souillés constituent un péril pour ceux qui se risqueraient à les travailler. Aussi une lettre du curé de Salces, dans le diocèse de Mende, en Gévaudan, signale que deux écorcheurs sont morts en quelques jours d'anthrax au visage et d'enflures monstrueuses à la tête, au cou et à la poitrine.
— Il n'y a point de remède connu ? demanda Nicolas.
— On tente, on essaye, on expérimente. Les directeurs des Écoles royales vétérinaires ont rédigé une exposition des symptômes qui a des rapports si frappants avec les descriptions données par les anciens, qu'on croirait qu'elle en a été tirée. De tout cela, ces doctes concluent que nous ne sommes pas aujourd'hui beaucoup plus avancés sur cette matière qu'on l'était du temps de Lucrèce, Virgile et Ovide, et qu'il serait bien nécessaire de diriger, sur un objet aussi important, l'esprit de recherche et de lumière des physiciens de notre temps. La médecine prétend avoir tiré d'affaire un patient avec une potion composée de vin rouge de Bordeaux, de thériaque d'Andromaque, d'extrait de quinquina, de contra-herva, de serpentine de Virginie, d'huile de Succin, d'esprit de nitre dulcifié, d'esprit volatil d'ammoniaque d'eau de Luce et je ne sais plus quoi encore. Un vrai bouillon du Grand Albert.
— Cependant, monseigneur, il n'y a pas péril en la demeure, puisque le mal est circonscrit au sud.
— Que non pas ! On nous rapporte qu'en Bretagne, à Ploërmel, plusieurs paysans viennent de périr avec des symptômes semblables pour avoir dépouillé leurs animaux morts de maladie putride.
— N'y a-t-il aucun moyen d'empêcher le progrès de la contagion ?
Le lieutenant général de police lissa d'une main épiscopale la fine dentelle de sa cravate.
— Pensez bien qu'on y a veillé. Il n'y a pas d'armes contre cette contagion que de tuer et de séparer. Il est nécessaire d'exterminer tout ce qui est infecté. C'est l'unique moyen de sauver l'État entier d'un fléau destructeur. Le gouvernement
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