Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
s'efforçant de raser la muraille au risque d'écraser la jambe de son cavalier.
Rue Saint-Marc, une nouvelle découverte l'attendait : M. Poisson traitait des vins, des fruits et des légumes, la boucherie et le bétail dépendant de M. Imbert, dont les locaux se trouvaient rue de Richelieu. Ce n'était qu'à quelques pas et il s'y porta aussitôt. Il apparut malheureusement que ce M. Imbert se consacrait effectivement à la viande, et aussi au bétail, mais uniquement pour ceux ayant franchi les barrières et déjà propriété des bouchers. Il fallait donc pour glaner les renseignements recherchés s'adresser à M. Collart du Tilleul, rue de la Soudière, près du marché des Saints-Innocents. Nicolas piqua des deux vers sa nouvelle destination distrayant au passage sa monture des tentations d'un monticule de choux.
Il dut forcer la porte de son nouvel interlocuteur, après que celui-ci eut prétendu n'être point disponible. Nicolas fit irruption la mine haute, regrettant de ne pas disposer d'une cravache dont il aurait aimé cingler ses bottes. Le commis effaré se réfugia derrière une masse instable de paperasses officielles d'où ne dépassait que sa tremblante calotte noire. Son maître assura Nicolas que, sur la place de Popincourt, M. Longères, tant par son âge que par l'estime et la confiance de ses confrères, apparaissait comme l'autorité première des nourrisseurs de bestiaux de la vicomté et généralité de Paris, et comme l'homme le plus à même de répondre aux interrogations des autorités. Nicolas remercia sèchement M. Collart du Tilleul et lui intima l'ordre de faire reconduire la rétive haridelle à l'hôtel de police. Excédé par les foucades de sa monture, il avait décidé de poursuivre son trajet hors Paris par d'autres moyens. Il dut rattraper la rue Saint-Honoré pour trouver un fiacre en maraude. La caisse était si sale et la tapisserie de la banquette si repoussante, avec ses taches suspectes, qu'il dut s'asseoir à son extrême bord, de guingois. Son œil de policier détecta un peu partout des traces sanglantes mal effacées. Qu'avait donc convoyé ce phaéton ? Quelque blessé, sans doute ramassé dans le ruisseau et reconduit chez lui après boire. Il baissa la glace pour respirer un peu d'air.
La voiture avançait par à-coups, louvoyant au milieu d'une foule pressée et distraite. Elle dut s'arrêter devant un petit attroupement formé de filles et de garçons rieurs. Ils dansaient, se tenant par la main, au milieu de la rue du Faubourg-Saint-Antoine au son grinçant et allègre dispensé par un vielleux. Celui-ci, en tenue de sa province lointaine, tournait sa manivelle et jouait de l'autre main sa partition, tout en marquant la cadence de ses sabots. Nicolas contempla ce tableau avec une bienveillance un peu nostalgique. Que lui restait-il de sa jeunesse ? Il se souvenait de ses escapades dans les marais avec des garnements de son âge. Ensuite c'était un interminable souterrain studieux, étouffant de sérieux. Lui revenaient en mémoire l'angoisse du collège où, en dépit de ses succès, il était compté pour rien, pauvre orphelin, par des compagnons issus des meilleures familles de Bretagne, et sa situation ambiguë dans l'étude du notaire à Rennes, au sein de laquelle ses accointances aristocratiques l'avaient fait, à la fois, envier et mépriser par les autres élèves de l'étude. La solitude l'avait toujours accompagné tout au long de ces années pourtant éclairées par les figures tutélaires du chanoine Le Floch et du marquis de Ranreuil, son père, et par celle, plus émouvante encore, éloignée et presque effacée, de sa sœur Isabelle. Il priait Dieu qu'il voulût bien épargner à son fils Louis de tels détours.
Une fois de plus, la traversée du Faubourg-Saint-Antoine, sous le regard de la Bastille, le frappait par la diversité des spectacles offerts à son attention. Là, se mêlaient les diverses couches de la population : paisibles bourgeois se promenant en famille, ouvriers des manufactures en goguette, riches paysans du faubourg dont les tenues détonnaient, filles galantes effrontées, enfin des armées de mendiants et d'estropiés, vrais ou simulés, que déversaient les provinces vers la capitale du royaume. Chaque jour, de pauvres hères arrivaient par la grand'route attirés par les prestiges et les mirages de Paris. Ils espéraient y trouver une solution à leurs malheurs ainsi qu'un terme à leur pauvreté. Les
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