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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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allait tout autrement pour le chevreuil, le cerf ou la bête noire. Le nouveau souverain était réputé plus sourcilleux que son grand-père à cet égard. L'habit de chasse habituel de gros bleu galonné d'or était de rigueur et la disposition du galon indiquait le genre d'animal qu'on allait chasser. Que d'étrangeté dans tout cela ! se dit Nicolas. Pourtant, ces détails insignifiants en apparence parlaient avec éloquence : ils disaient d'abord que l'on portait un nom et qu'il donnait le droit de monter dans les carrosses du roi, ce qui équivalait, pour un homme, à la présentation pour les femmes. Ce privilège, Nicolas ne pouvait s'empêcher d'en ressentir la fierté. Certes, il le devait à sa naissance, fût-elle illégitime, mais surtout c'était de la parole de Louis XV qu'il lui avait été dévolu à jamais. Il se revoyait en cette journée du destin où il avait trouvé un père, acquis ce que d'autres mettaient des siècles à obtenir, et gagné le droit de servir son roi.
    Des taches sur la platine d'un de ses fusils l'agacèrent. Rien ne devait venir ternir la splendeur du présent royal. Il s'évertua à les faire disparaître. Son esprit volait d'objet en objet. Quand viendrait l'indifférence devant de telles peccadilles ? Naguère, revenant du concert spirituel avec son ami Pigneau de Behaine, désormais évêque de la mission de Cochinchine, il l'avait écouté décrire la religion des talapoins 46 qui enseignait à ses fidèles le renoncement à toute chose, le détachement de tous les liens, afin d'atteindre la suprême indifférence et la paix de l'âme. Il s'était révolté devant cette idée, la considérant comme un rêve inaccessible, une sorte de suicide moral dans un univers où plus rien n'avait de prix ni de sens. Pigneau lui avait fait doucement observer que ce renoncement ne laissait pas d'être proche de la communion des mystiques et des saints avec la puissance du Seigneur, et que le Christ, lui aussi, appelait à dépouiller le vieil homme… Me voilà bien philosophe, songea-t-il. Dans un coin de son esprit, les yeux rieurs d'Aimée d'Arranet le fixaient, avec un rien de moquerie. Il finit par décider de se rendre au débotté du roi. Il glanerait les dernières nouvelles, se renseignerait sur le genre de chasse du lendemain et pourrait enquêter sur cette étrange histoire du jardin de Trianon. Pour ordonné et prévoyant qu'il fût, il n'ignorait pas que tout programme est à la cour soumis aux caprices et aux hasards.
    Nicolas s'habilla en demi-deuil se proposant de gagner à pied le château. À la vue des fondrières de la chaussée, il comprit aussitôt son erreur et que sa tenue ne résisterait pas à l'outrage des boues. Il se résigna à emprunter une chaise à porteurs, moyen qu'il exécrait par-dessus tout, son balancement lui soulevant le cœur et l'utilisation de ses semblables lui paraissant une insulte à leur dignité et à la sienne.
    Il passa tous les cordons comme un duc et pair et se retrouva au pied de l'escalier des ambassadeurs. Il gagna la salle du débotté où quelques questions aux gardes du corps le convainquirent qu'il avait un peu de temps devant lui avant le retour de la chasse. Ce serait l'occasion de flâner dans le château. Il descendit au rez-de-chaussée où de grandes galeries de pierre emplies d'une foule bourdonnante accueillaient ceux que la pluie avait chassés des jardins. Des courtisans désœuvrés conversaient par petits groupes, lorgnant au passage d'aimables bourgeoises ou des soubrettes venues admirer ce que les lieux proposaient à leur convoitise. Nicolas se souvenait de la surprise de visiteurs étrangers stupéfaits de découvrir là une sorte de foire permanente. Depuis longtemps était tolérée l'installation de boutiques et d'échoppes. Elles s'étaient infiltrées, insinuées et maintenant peuplaient vestibules, corridors et même les paliers des grands escaliers comme autant de verrues si habituelles qu'on ne les voyait plus. La reine, encore dauphine, s'arrêtait souvent devant ces étalages au grand scandale de Mesdames Victoire et Adélaïde. Les deux tantes obtinrent pourtant qu'un parfumeur qui colonisait le vestibule de l'escalier de marbre eût à décamper, soutenues en cela par les princes du sang et les maréchaux de France qui, seuls, avaient le droit de faire avancer leurs carrosses jusqu'à son perron.
    Nicolas sentit soudain poser sur lui un regard appuyé. Il se retourna et remarqua un personnage

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