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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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éloquentes. Pouvez-vous, pour le moins…
    Le cri des huissiers et le bruit sourd des hallebardes retombant sur le sol, qui annonçaient le cortège du roi de retour de la chasse, sauvèrent Nicolas, qui ignora l'insistance de Richelieu en se dégageant ployé en une déférente révérence. On ne vit plus que des dos inclinés. Le roi, le teint fort animé et l'habit dégouttant d'eau, jeta un regard circulaire sur l'assemblée. Il la dominait de sa haute taille que les bottes de chasse augmentaient encore, mais comme il ne se redressait pas il ôtait à cet avantage la majesté qui aurait convenu. Il semblait dévisager chacun à la dérobée en plissant les yeux sans pour autant paraître reconnaître quiconque. Il procéda à quelques avancées et reculs hésitants, les bras ballants. Nicolas nota le profil qui rappelait en moins ferme celui du feu roi. Le cou déjà empâté s'enfonçait dans les épaules. Les yeux bleus étaient indéchiffrables et ne possédaient pas ce sombre velouté de ceux de son prédécesseur. Sur ses lèvres flottait un sourire inexpressif, presque innocent. Il passa devant Nicolas, s'approcha, se pencha, le considéra avec attention.
    — Ranreuil, suivez-moi quand je regagnerai mes cabinets.
    Ces quelques mots firent événement. Tous les regards se tournèrent vers le bénéficiaire de l'attention royale. Chacun savait la myopie du roi et sa difficulté à reconnaître ses serviteurs. Le maréchal de Richelieu crut opportun de se manifester.
    — Sire, dit-il, permettez au premier gentilhomme…
    Le roi lui tourna le dos sans marquer en rien l'avoir entendu. Nicolas savait que le couple royal multipliait les mauvaises façons à l'égard du duc, espérant par là l'inciter à se défaire de sa charge et à ne plus les importuner d'une présence qui rappelait par trop à la reine la très exécrée Mme du Barry. Rien n'y faisait et il s'obstinait, feignant de ne pas comprendre les signes multiples et éloquents de sa disgrâce et d'ignorer les disparates dont on l'accablait sans relâche.
    Des serviteurs changeaient le roi après qu'il se fut rafraîchi avec des serviettes. Du moins le tentaient-ils, tant l'adolescent perçait encore sous le souverain de vingt ans. Il esquivait en riant la chemise qu'on lui tendait, baissant le cou au moment propice. Les valets étaient accoutumés à ces farces et jouaient le jeu avec bonne grâce. Le roi s'étranglait de rire et trépignait lourdement d'un pied sur l'autre. L'arrivée d'un nouveau personnage mit un terme à la plaisanterie. Nicolas reconnut M. de Maurepas. Il salua cérémonieusement Louis XVI, jeta un sourire complice à Richelieu et fixa d'un œil investigateur la personne de Nicolas.
    Grand et mince, le port noble, la jambe sèche, le front haut dans un visage au teint pâle éclairé d'yeux bleus fort ouverts, l'arrivant souriait sans desserrer sa petite bouche. Il offrait l'image désinvolte, assurée et rassurante d'un vieillard portant beau, à l'air débonnaire et indulgent. Richelieu tira Nicolas en arrière et, se cramponnant de nouveau à son bras pour hausser sa petite taille, lui susurra à l'oreille un commentaire à voix basse.
    — Savez-vous que sa réputation d'impuissance est plus que fondée ? Il possède même tous les défauts des eunuques, au point d'aimer les femmes pour les tourmenter sans les satisfaire…
    Il pouffa.
    — Il ne déteste rien tant qu'on le mette au pied du mur. Du lit serait mieux dire !
    Nicolas suait sang et eau de crainte qu'on n'entendît la voix de crécelle du maréchal. Mais le roi parlait de sa chasse et du vieux solitaire qu'il avait lui-même servi d'un coup de poignard bien ajusté. Un murmure d'approbation élogieuse suivit cette annonce. Le ministre se mit à parler à voix basse au souverain. Le commissaire considérait ce curieux attelage du passé et de l'avenir. Il connaissait les propos colportés : que sur le vaisseau de l'État, M. de Maurepas était plus passager que pilote, qu'il y avait deux hommes en lui, celui qui voit et celui qui pilote. Hélas, poursuivait la rumeur, le premier était pénétrant et éclairé, le second changeant et irrésolu. Le roi l'appréciait, car ses propres qualités et défauts le rapprochaient du vieil homme. De fait, il se reconnaissait en lui comme dans un miroir.
    Avec cette aisance d'un demi-siècle de savoir-faire, le ministre, ayant pris la parole, ne la lâcha plus. Il devisait interminablement, car chez lui tout se

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